6 décembre, 2022Kalyani Badola d'IndustriALL interviewe Swasthika Arulingam récemment élue présidente du Syndicat des travailleurs du commerce et de l'industrie (CIWU)
Rencontre De Global Worker No 2 November 2022 | |
Pays: Sri Lanka Syndicat: Commercial and Industrial Workers Union (CIWU) Texte: Kalyani Badola |
Comment êtes-vous devenue une syndicaliste ?
“J’ai obtenu mon diplôme de droit en 2012, après quoi j’ai rejoint la Commission d’aide juridique du Sri Lanka (LAC) en tant qu’avocate. La LAC fournit des services d’aide juridique aux franges marginalisées de la société qui n’ont pas les moyens de se payer un avocat.
Lorsque j’ai rejoint la LAC, l’organisation venait de lancer un projet visant à créer des centres dans le nord et l’est du Sri Lanka pour fournir des services d’aide juridique aux communautés touchées par la guerre dans la région. Comme je parle tamoul et qu’une partie importante de la population de la région est tamoule, on m’a demandé de superviser le projet. Durant cette période, j’ai passé beaucoup de temps avec la classe ouvrière du pays, en essayant de comprendre ses problèmes et en lui apportant mon soutien partout où cela était possible. Étant donné que j’étais basée à Colombo, je faisais également partie du groupe d’aide juridique de la ville. Cela m’a permis d’interagir avec les travailleurs des zones franches (FTZ) et de me familiariser avec la situation des travailleurs industriels du pays. Nous avons traité un grand nombre de cas de violation des droits des travailleurs dans les zones franches. C’est à ce moment-là que j’ai rencontré des recruteurs du Syndicat des travailleurs du commerce et de l’industrie (CIWU). Mon idéologie politique et le travail que faisait le CIWU coïncidaient et j’ai décidé de rejoindre le syndicat en 2019. Depuis lors, je travaille au niveau du recrutement syndical au sein du CIWU.”
Pourquoi est-il important pour les syndicats d’avoir des jeunes femmes dirigeantes ?
“En 2021, j’ai été contactée pour faire partie du Comité exécutif du syndicat. On estimait que le syndicat et les travailleurs pourraient bénéficier énormément de la présence d’une jeune femme à la tête du syndicat. En tant que féministe, je ne pouvais pas ne pas être d’accord avec eux. J’ai décidé de participer aux élections et j’ai été élue Secrétaire générale adjointe. Malheureusement, le Président du syndicat, Linus Jayatilake, est décédé au début de cette année. C'est dans ces circonstances que le Comité exécutif m’a demandé de prendre le poste. Depuis juillet de cette année, j’assume le rôle de Présidente du CIWU.
Au Sri Lanka, comme partout en Asie du Sud, la majorité des dirigeants syndicaux sont des hommes. Cela a un impact considérable sur le type de problématiques ouvrières que les syndicats abordent. Nous constatons que dans des secteurs comme celui de la confection, qui compte un nombre disproportionné de travailleuses non qualifiées et fluctuantes, le fait d’avoir une direction masculine fait qu’il est extrêmement difficile de soulever des questions comme le travail de nuit, le harcèlement sur le lieu de travail, y compris le harcèlement sexuel, l’écart de rémunération entre les sexes, l’offre de transport et la garde d’enfants en tant que problèmes concernant une usine. Souvent, ces questions ne sont pas considérées comme des problèmes de travail, mais plutôt comme des problèmes affectant les femmes et, la plupart du temps, elles ne sont pas prioritaires.
Même lorsqu’elles sont soulevées, l’approche d’un dirigeant masculin est très différente. Par exemple, le harcèlement sexuel est traité comme un incident ponctuel, ce qui n’est pas le cas ; il est profondément ancré dans le processus de production. En ce qui concerne le travail de nuit, les syndicalistes masculins disent généralement que les femmes doivent rentrer chez elles plus tôt, car elles doivent s’occuper du ménage et des enfants. Nous voyons donc le patriarcat s’exprimer même au sein des syndicats et dans la formulation des problèmes des travailleurs et travailleuses.
Dans un tel scénario, une femme leader ou une femme responsable du recrutement peut faire une énorme différence. Les syndicats dirigés par des femmes ont démontré un fort sentiment de camaraderie et un esprit collectif. Contrairement aux syndicats dirigés par des hommes, où les dirigeants jouent le rôle de Dieu et où les autres membres ont l’impression d’implorer de l’aide. Dans les syndicats dirigés par des femmes, chacun a le sentiment de faire partie du processus. La culture syndicale change lorsque les femmes occupent des postes de direction. Il est toujours bon d’avoir une femme qui leur ressemble, même si je ne suis pas arrivée à ce poste en étant issue de la base. Cela leur donne l’espoir qu’un jour elles seront capables de diriger.”
Quels sont les défis auxquels les jeunes femmes sont confrontées dans l’univers syndical ?
“Comme je l’ai mentionné précédemment, le patriarcat se manifeste même au sein des syndicats. Les femmes syndicalistes sont constamment victimes de remarques sexistes ou de harcèlement et reléguées à des tâches subalternes. Les tâches administratives mal rémunérées sont généralement confiées aux femmes et le visage de la direction est toujours celui d’un homme.”
Comment les syndicats, y compris le CIWU, ont-ils réagi à votre élection à la présidence ?
“Le CIWU m’a beaucoup soutenu. Je ne suis pas traitée différemment de nos autres dirigeants. Ils y voient une occasion d’articuler de nouvelles positions, de formuler de nouvelles campagnes et d’intégrer davantage de jeunes. Mais bien sûr, il faudra du temps pour s’habituer à la présence d’une femme dans l’organe de décision. Notre société ne considère pas l’affirmation de soi comme une qualité que les femmes devraient posséder. Elles sont “censées” être soumises. Le Conseil consultatif national du travail (NLAC) du Sri Lanka, dont font également partie les affiliés d’IndustriALL, a été créé en 1995 mais vient seulement d’accueillir sa première femme syndicaliste.
Mais il ne faut pas s’attarder à un cas particulier. Nous avons besoin de femmes à tous les niveaux. Dans notre Comité exécutif, il y a 3 femmes sur 15 membres. Ce chiffre doit augmenter. En outre, nous devons nous assurer que nous ne nous contentons pas de participer au processus décisionnel uniquement de manière symbolique.”
Quelle est la situation actuelle des travailleurs et travailleuses au Sri Lanka ?
“La crise économique actuelle est le fait de la classe dirigeante. Nous n’avions pas de stratégie économique lorsque les politiques libérales ont été introduites en 1977. La classe dirigeante voulait apaiser les employeurs individuels et être dans leurs petits papiers. Elle n’a pas réfléchi à des méthodes pour restructurer l’ensemble de l’économie. Il n’y a pas eu de croissance industrielle dans le pays. Il n’y a pas d’emplois décents. Et la situation a continué à empirer. Et maintenant, après la pandémie de Covid et avec la crise économique actuelle, l’économie a touché le fond.
Les exportateurs conservent les fonds en dehors du pays. Les employeurs ne se préoccupent que de leurs intérêts et la classe politique ne leur demande pas de rendre des comptes. La structure économique actuelle perpétue la victimisation des travailleurs par la dilution des lois du travail, l’élimination de la protection sociale, le versement de salaires de misère et la destruction des syndicats. Les travailleurs et travailleuses sont exploités par les entreprises et il n’y a personne pour dénoncer les pratiques d’exploitation des directions. Là où existent des conventions collectives, la direction fait pression sur les syndicats pour qu’ils se contentent de conventions moins qu’idéales ou qu’ils renoncent à en avoir. Même au sein de la NLAC, qui est un organe tripartite, la position des syndicats est faible, car il y a une forte présence de fonctionnaires et d’employeurs anti-syndicaux.
Les salaires ont stagné. Les heures supplémentaires, les primes d’assiduité, les coûts de transport ou toute autre incitant ne sont pas octroyés et le coût de la vie s’est envolé. L’inflation des denrées alimentaires a atteint 94 % le mois dernier. Nous payons trois fois plus que ce que nous payions auparavant pour les services publics. Les transports publics et le carburant sont devenus chers. Les impôts, tant directs qu’indirects, ont augmenté. La charge est énorme pour les travailleurs et travailleuses. Il est devenu impossible de vivre. Ils sautent des repas parce qu’ils n’ont plus les moyens de payer les produits alimentaires. La nutrition a été gravement affectée. Les enfants ne vont pas à l’école. La situation générale est donc très pitoyable.”
Que font les syndicats face à la crise ?
“Nous avons mis en place un programme de cuisine communautaire pour les membres du syndicat dans les zones franches en mettant des ressources en commun, ce qui permet d’alléger la pression économique sur les travailleurs et leurs familles. Nous avons écrit plusieurs fois au gouvernement pour qu’il dialogue avec les syndicats et qu’il convoque une réunion de la NLAC afin que les questions relatives aux droits des travailleurs puissent être discutées au sein de ce forum tripartite.