17 février, 2021Depuis des années, les syndicats allemands invoquent la nécessité d'une loi sur le devoir de diligence - Sorgfaltsplifchten - dans les chaînes d'approvisionnement. Leurs arguments sont maintenant pris au sérieux et une nouvelle loi sur la diligence raisonnable dans les chaînes d'approvisionnement devrait être votée avant les élections de l'automne 2021.
Son texte transposera les dispositions des Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme et des Principes directeurs de l'OCDE pour les entreprises multinationales dans le droit allemand. Bien que le projet n'ait pas encore été rendu public, des ministres en ont donné les détails lors d'une conférence de presse, le 12 février.
Cette loi donnera aux entreprises ayant leur siège en Allemagne l'obligation de veiller à ce que les droits de l'homme et les normes environnementales correspondantes soient observés dans tous les maillons de la chaîne d'approvisionnement. Elle doit entrer en vigueur au début de 2023 et concernera dans un premier temps les entreprises occupant plus de 3.000 personnes, puis celles de plus de 1.000 à partir de 2024.
Les sous-traitants d'autres pays devront se conformer aux mêmes normes, mais les fournisseurs indirects ne seront contrôlés qu'en cas de plainte. Cela rendrait les firmes allemandes responsables des abus commis dans leurs chaînes d'approvisionnement. Si elles n'y remédient pas, des syndicats et des ONG pourront les traduire en justice en Allemagne pour le compte des victimes.
"La loi sur les chaînes d'approvisionnement doit renforcer la liberté d'association au niveau local et prendre des mesures contre l'antisyndicalisme. Nous avons besoin d'organisations syndicales fortes dans les pays qui constituent les chaînes d'approvisionnement. Avec les travailleurs, les syndicats peuvent détecter les abus et faire punir les violations afin de préserver les droits des travailleurs,"
déclare Wolfgang Lemb, membre du Comité exécutif d'IG Metall, affilié à IndustriALL
Les entreprises pourront limiter leur responsabilité à condition de répondre à une norme industrielle approuvée par le gouvernement appelée Safe Harbour. Pour les syndicats, un critère minimum pour obtenir le statut Safe Harbour serait que l'entreprise conclue un accord-cadre mondial (ACM) avec le syndicat mondial concerné. Cela constituerait un autre mécanisme de règlement des litiges et aurait des répercussions négatives pour les entreprises qui, comme Volkswagen, enfreignent les dispositions des ACM.
D'une manière générale, on constate une tendance à inclure le devoir de diligence dans les législations. En 2017, la France est devenue le premier pays à promulguer une loi basée sur les principes directeurs de l'ONU. Les Pays-Bas ont adopté une loi sur le travail des enfants en 2019 et le Royaume-Uni a une loi sur l'esclavage moderne. Des lois ont été votées aux États-Unis et en Suisse, et sont en préparation à Hong Kong et au Canada. L'organisation jumelle d'IndustriALL Global Union, IndustriALL Europe, réclame des règles de diligence raisonnable à l'échelon de l'UE.
En Allemagne, les syndicats réclament depuis longtemps une loi similaire et ont regroupé les forces de plus de 120 organisations membres dans l'Initiative Lieferkettengesetz pour mener campagne et faire pression en ce sens. Au fil des ans, ils ont rassemblé un soutien politique en pointant les carences d'une démarche volontariste, et l'option d'une loi est appuyée par des économistes de renom. Certaines entreprises soutiennent aussi la solution d'une loi, dont Tchibo, qui a un ACM avec IndustriALL.
La polémique s'est conclue dans le bons sens. Des études montrent que 75 pour cent des citoyens sont favorables à une loi sur les chaînes d'approvisionnement. De plus en plus, des politiciens de tous bords politiques reconnaissent la nécessité d'un cadre légal pour mettre sur un pied d'égalité les activités qu'ont dans différents pays du monde les entreprises basées en Allemagne.
Pour la plupart des multinationales, une législation sur le devoir de diligence n'est pas nécessaire, puisqu'elles peuvent policer leurs activités par des codes de conduite librement consentis. Or, les syndicats ont démontré qu'il n'en est rien. Ils ont montré à de multiples reprises qu'elles ne suivent pas des codes volontaires qui vont à l'encontre de leur intérêt économique.
Michael Vassiliadis, le président de l'IG BCE affilié à IndustriALL, a déclaré :
"Les multinationales ont eu tout le temps de montrer qu'ils peuvent relever ces défis par un processus spontané. Elles ne l'ont pas fait et maintenant, elles doivent en accepter la conséquence logique, qui est une loi."
L'Allemagne est gouvernée par une large coalition composée de la CDU/CSU, de centre-droit, et le SPD, de centre-gauche. Le SPD a toujours appuyé l'option légale, et même des politiciens conservateurs s'y rallient aussi. Le ministre CSU en charge du ministère de la Coopération économique et du Développement, le BMZ, s'est associé au ministre SPD du Travail pour préconiser une législation.
Le président d'IG Metall et d'IndustriALL Global Union, Jörg Hofmann, a déclaré :
"Le gouvernement fédéral allemand a obtenu un accord ! Les efforts du ministre de l'Emploi Hubertus Heil et du ministre du Développement Gerd Müller ont porté leurs fruits. IG Metall se félicite de cet accord relatif à une loi sur le devoir de diligence. Après un long et dur combat, c'est un signe positif.
"Mais la médaille a son revers : il faut encore trop de temps pour que la loi entre en vigueur. Nous exhortons les employeurs à appliquer dès maintenant les normes qu'elle contient. À moyen terme, il faut voir si le contrôle réactif des fournisseurs indirects de la chaîne d'approvisionnement s'avérera suffisant."