19 septembre, 2023Les progrès rapportés par le gouvernement du Bangladesh dans la mise en œuvre de la feuille de route de l’OIT, notamment en ce qui concerne la lutte contre les actes de discrimination antisyndicale et de violence à l’encontre des travailleurs et travailleuses, sont loin de la réalité vécue par les syndicalistes, qui se heurtent quotidiennement à différents défis lorsqu’ils recrutent les travailleurs et travailleuses des usines de confection du pays.
Le tableau est sombre s’agissant de s’organiser syndicalement ou de négocier collectivement dans un secteur dont les bénéfices à l’exportation génèrent 85 % du PIB du Bangladesh. Les employeurs tirent profit de la violation systématique des droits des travailleurs et de l’étouffement du discours syndical, car si ce n’était pas le cas, leurs salariés commenceraient à exiger de meilleurs salaires et conditions de travail, ce qui coûterait de l’argent que les employeurs ne sont pas disposés à dépenser. Pendant ce temps, le gouvernement bangladais ne parvient pas à garantir que les employeurs respectent les droits des travailleurs et que la feuille de route de l’OIT soit correctement mise en œuvre.
La syndicalisation des travailleurs et travailleuses de la confection au Bangladesh est rendue difficile par un réseau complexe d’organismes d’État et d’acteurs privés. Bien qu’il ait promis de faire respecter le droit à la liberté syndicale et à la négociation collective, le gouvernement ne le fait pas. Des syndicalistes ont été tués pour avoir recruté des membres et avoir dénoncé les employeurs dans le but de protéger les droits des travailleurs.
Récemment, pour avoir protesté contre le non-paiement des salaires un recruteur syndical de la Fédération des travailleurs de l’industrie et de la confection du Bangladesh (BGIWF) a été battu à mort à Gazipur par des hommes de main embauchés par l’usine. Un autre recruteur, de la Fédération nationale de la confection (NGWF), a été assassiné, manifestement pour avoir tenté de syndiquer des travailleurs et travailleuses à Ashulia.
Si les assassinats de syndicalistes retiennent l’attention, le harcèlement quotidien auquel sont confrontés les recruteurs pour leur travail syndical passe souvent inaperçu. Selon les affiliés d’IndustriALL au Bangladesh, les employeurs, les hommes de main, les politiciens locaux et la police travaillent ensemble pour harceler et faire pression sur les syndicalistes qui tentent de recruter les travailleurs et travailleuses. Des hommes de main locaux agissant pour le compte des employeurs menacent et agressent régulièrement les dirigeants syndicaux basés dans les usines. Dans plusieurs cas, la direction de l’usine a forcé les dirigeants syndicaux à démissionner en échange de maigres indemnités. Si cette tactique échoue, les dirigeants syndicaux sont tout simplement licenciés.
Les propriétaires des maisons que les travailleurs et travailleuses louent posent également des problèmes, par exemple en interdisant qu’y soient organisés des cercles d’étude. En outre, la police locale perturbe les réunions publiques organisées par les dirigeants syndicaux. Les propriétaires d’usines sont également complices des activités antisyndicales, avertissant constamment leurs salariés qu’ils risquent de perdre leur emploi s’ils tentent de former des syndicats ou d’y adhérer. Pour attiser le sentiment antisyndical au sein de leur main-d’œuvre, les employeurs tentent également d’associer les dirigeants syndicaux à des actions qui semblent nuire aux intérêts des travailleurs.
Dans certains cas, les employeurs et la police ont porté de fausses accusations contre des dirigeants syndicaux locaux. Un recruteur de la BGIWF, affiliée à IndustriALL, rapporte ainsi :
“Nous avons recruté les travailleurs et travailleuses de l’une des usines d’Ashulia et déposé la demande d’enregistrement du syndicat. Dès que la direction en a eu connaissance, elle a licencié les dirigeants syndicaux après avoir échoué à les convaincre de démissionner en échange d’un maigre dédommagement. Les salariés de l’usine se sont mis en grève. Par la suite, le directeur général de l’usine a non seulement agressé physiquement les syndicalistes, mais il a également menacé de porter plainte contre eux. Les grévistes ont été harcelés par des hommes de main et une procédure pénale est en cours contre ces dirigeants syndicaux.”
Il est difficile pour les syndicalistes licenciés de trouver un emploi dans une autre usine, car ils sont inscrits sur la liste noire tenue par l’Association des fabricants et exportateurs de vêtements du Bangladesh (BGMEA). Les licenciements pour motif de syndicalisation sont utilisés comme tactique d’intimidation en vue de décourager les travailleurs et travailleuses de se syndiquer.
Les fédérations syndicales peuvent déposer des plaintes pour pratiques déloyales de travail ou discrimination antisyndicale auprès du tribunal du travail ou du ministère du travail. Toutefois, le traitement des plaintes prend beaucoup de temps. Les fonctionnaires sont souvent réticents à l’idée même d’enregistrer une plainte, alléguant parfois que les dirigeants syndicaux tentent de détruire l’économie du pays.
Un recruteur de la Fédération Sommilito Garments Sramik, affiliée à IndustriALL, confie :
“Nous avions syndiqué environ 500 travailleurs dans une usine de 1.100 travailleurs à Gazipur. Dès que nous avons déposé la demande d’enregistrement du syndicat, la direction a licencié le président de la section syndicale. Celui-ci a également été menacé par des hommes de main locaux sur ordre de la direction pour qu’il démissionne volontairement. Mais il n’a pas cédé à la pression et a été licencié. Nous avons porté plainte devant le tribunal du travail et envoyé une lettre au ministère du travail, mais nous n’avons reçu aucune réponse.”
Les recruteurs sont fréquemment convoqués par la Direction générale du renseignement (DGFI) et la police industrielle, parfois de nuit, à des heures indues. Ils sont interrogés, dissuadés de faire leur travail syndical et souvent menacés de mort. Les cas d’agression physique de syndicalistes pendant leur garde à vue au Bangladesh ne sont pas rares.
Un recruteur de la NGWF, affiliée à IndustriALL, a fait part d’un incident concernant la violation des droits syndicaux et des droits des travailleurs dans la Zone franche d’exportation (ZFE), où la formation de syndicats est illégale :
“Lorsque je travaillais dans l’une des usines de la zone franche, j’ai essayé de syndiquer les travailleurs. Il est interdit de protester ou de faire grève et il n’y a pas de syndicats. Il existe des comités de protection des travailleurs. J’ai tenté une fois de poser ma candidature pour l’un d’entre eux. Mais la BEPZA (Administration des zones franches d’exportation du Bangladesh) ne voulait pas que je fasse partie de ce comité et a préféré y placer son propre candidat. C’est alors qu’ont commencé les tactiques de pression pour me forcer à démissionner. La moindre erreur me valait une engueulade, mes congés n’étaient pas accordés et le fait d’aller aux toilettes plus d’une fois par jour était remis en question. L’usine a fini par fermer ses portes, mais nous avons protesté et obtenu tous les avantages légaux prévus à la suite de la fermeture d’une usine. Pendant tout ce temps, des voyous locaux ont menacé de me tuer. J’ai même été interrogé par les services de renseignement de la sécurité nationale pour avoir tenté de recruter syndicalement dans la zone franche.”
Non seulement les efforts de syndicalisation sont perturbés par les employeurs, mais le processus de négociation collective est également très difficile. Les affiliés ont connu des situations où la direction n’a pas négocié de bonne foi et a simplement rejeté le cahier de revendications du syndicat.
Apoorva Kaiwar, Secrétaire régionale d’IndustriALL pour l’Asie du Sud, a déclaré :
“Nous sommes d’avis qu’il incombe non seulement au gouvernement de veiller à ce que le droit des travailleurs à la liberté syndicale soit respecté, mais qu’il appartient aussi aux employeurs et aux marques qui s’approvisionnent au Bangladesh de s’assurer que les droits des travailleurs et travailleuses sont respectés et que les dirigeants syndicaux ne sont pas ciblés en raison de leur volonté de recruter syndicalement.”