23 avril, 2020Bárbara Figueroa, Présidente de la centrale syndicale chilienne CUT, a reçu le Prix international Arthur Svensson 2020 pour les droits syndicaux en reconnaissance de son engagement dans la lutte pour la justice sociale.
Félicitations pour ce prix !
Je tiens à remercier ceux qui ont proposé mon nom, en dépit du fait que je ne suis pas dirigeante syndicale depuis très longtemps. Il y a tant de dirigeants au Chili et dans la région qui sont depuis plus longtemps dans le syndicat et qui méritent amplement de recevoir un prix comme celui-ci.
Je tiens à remercier Víctor Báez, Secrétaire général adjoint de la Confédération syndicale internationale, qui a jugé important de me proposer parce que je suis jeune et la première femme présidente d’une centrale syndicale, tant au Chili qu’en Amérique latine dans son ensemble.
Le Comité d’attribution a voté pour moi à l’unanimité, mais le prix ne revient pas qu’à moi. Je suis très fière de l’avoir reçu, mais il s’agit d’une reconnaissance du travail collectif de tous les membres de la CUT et de ce que l’organisation a accompli au fil des ans. Je suis également très fière que les travailleurs et travailleuses puissent partager ce moment heureux.
Le Comité d’attribution a indiqué qu’en vous décernant le prix de cette année, il espère contribuer à sensibiliser le public à la situation actuelle au Chili et à renforcer les syndicats dans leur lutte pour les droits des travailleurs et des travailleuses. Pensez-vous que cela y sera utile ?
Nous l’espérons. L’un des grands avantages de ce prix est qu’il attirera l’attention sur la situation au Chili. Les travailleurs du monde entier sont confrontés à la pandémie, mais la situation au Chili est tout à fait unique.
Le soulèvement social qui a débuté le 18 octobre de l’année dernière a fait ressortir un certain nombre d’opinions négatives courantes sur notre modèle de développement. Il s’agit d’opinions dominantes dans des pays comme le Chili, qui ont un modèle économique très agressif et où les tensions avec les grandes entreprises sont fortes.
Un prix comme celui-ci contribue à attirer l’attention sur ces questions. Il ne s’agit plus seulement de ce que les gens pensent dans notre pays, la communauté internationale nous donne également un point de vue plus critique sur la manière dont les relations sociales devraient être gérées et sur la valeur que peuvent représenter les syndicats. Nous espérons que ce message sera entendu.
Mais ce n’est pas encore le cas, malheureusement. La réponse du gouvernement à la pandémie a été très médiocre. D’autres pays ont mieux géré la crise en favorisant le dialogue social ; notre gouvernement en est loin.
Nous savons que ce prix est une reconnaissance du rôle joué par les syndicats. Et avec la crise actuelle de la santé publique, ce rôle va probablement devenir l’un des sujets clés du débat international. Nous espérons que le Chili participera également à ce débat.
Le Comité d’attribution a également souligné que la CUT, en combinant mobilisations de masse et négociations, a réussi à augmenter le salaire minimum et à réduire la semaine de travail malgré une résistance politique à grande échelle. Ce type de victoire renforce-t-il votre volonté et votre engagement en faveur des droits des travailleurs et du travail syndical ?
Oui, c’est le cas. Des prix comme celui-ci nous aident à faire en sorte que les relations sociales fassent partie intégrante de tout processus tendant à faire progresser la démocratie dans nos visées nationales.
Nous ne pouvons créer de sociétés justes, égales et démocratiques sans inclure le monde du travail. C’est une chose que nous pouvons faire en tant que dirigeants, ou en assumant un rôle secondaire. Veiller à ce que les relations sociales soient considérées comme vitales pour la démocratie est une question d’une grande actualité. C’est l’un de nos plus grands défis et cela nous obligera également à poser un regard attentif sur nos propres organisations.
Les syndicats deviennent de plus en plus démocratiques. En nous fixant des normes élevées, nous pouvons projeter notre vision de ce à quoi la société devrait ressembler à l’avenir. C’est ce que nous devons nous efforcer de réaliser au Chili, même si tout est contre nous et que les autorités sont davantage engagées auprès du grand capital. Cela ne signifie pas que la société s’est endormie au volant. Bien au contraire, elle s’est réveillée et est prête à se battre.
Nous avons une tâche importante : nous devons maintenir les syndicats au cœur de chaque débat. Nous devons redistribuer les richesses et modifier l’équilibre des pouvoirs dans les relations sociales si nous voulons construire des sociétés plus justes et plus équitables. Et nous devons le faire aux côtés d’autres mouvements, comme le mouvement féministe. Nous devons travailler ensemble à la réalisation de nos revendications.
Vous êtes la seule femme dirigeante d’une centrale syndicale dans la région ; pensez-vous ouvrir la voie à d’autres femmes dans une culture dominée par les hommes ?
Nous espérons que des prix comme celui-ci contribueront à attirer l’attention sur les inégalités entre travailleurs : les hommes et les femmes n’entrent pas sur le marché du travail sur un pied d’égalité.
J’espère que le débat au sein du mouvement syndical nous permettra de mieux comprendre ces inégalités. C’est une façon de favoriser le changement et de mettre les syndicats en phase avec leur époque.
Si vous considérez les chiffres, il y a beaucoup de femmes dans des postes de direction de syndicats au Chili, mais ce n’est pas suffisant. Nous devons veiller à ce que l’intégration des femmes dans la population active et dans les postes de direction des syndicats ne soit pas uniquement une question de genre, mais plutôt une question de lutte contre toutes les formes d’inégalité entre les travailleurs. Cela devrait toujours figurer à notre ordre du jour, tout comme le fait de garantir que les jeunes aient un emploi.
Gagner un prix international parce que nous avons des femmes à la tête de nos syndicats devrait nous aider à repenser nos structures et nos organisations. Les temps ont changé : nous sommes confrontés à des défis différents et à des besoins variés.
Ce processus était déjà en cours à la CUT avant que je ne prenne la relève. Ce sera toujours une lutte, en particulier lorsque que c’est une femme qui est à la présidence du syndicat.
Nous avons été la première centrale syndicale à introduire un quota de 30 % de femmes dans tous les organes de direction. Nous l’avons fait avant même la réforme du droit du travail qui a fixé un quota d’un tiers. Nous avons progressé, mais il nous reste encore beaucoup de chemin à parcourir.