18 décembre, 2017Deux nouvelles propositions de réforme du travail ont été déposées récemment devant le sénat mexicain. Toutes deux visent à modifier la réforme constitutionnelle du travail qui a été approuvée en février en ajoutant des dispositions conformes aux intérêts des employeurs et des chambres patronales.
Ces propositions de réforme du travail du gouvernement auraient été rédigées en secret par deux sénateurs mieux connus pour être de pseudo-dirigeants des principaux syndicats "jaunes" qui représentent les intérêts des employeurs plutôt que ceux des travailleurs : Tereso Medina Ramírez, de la Confederación de Trabajadores de México (CTM), et Isaías González Cuevas, de la Confederación Revolucionaria de Obreros y Campesinos (CROC).
Elles satisfont totalement aux revendications des avocats des entreprises qui veulent empêcher une reconnaissance explicite du droit fondamental à la liberté syndicale et bloquer l'initiative visant à éliminer le modèle dit "de protection" des conventions collectives prônées par les employeurs et qui permettrait d'améliorer l'administration de la juridiction du travail. Elles bénéficient financièrement aussi des contrats de protection des employeurs. Ces propositions vont à l'encontre de la récente réforme de la constitution et contreviennent à la convention n° 87 de l'Organisation internationale du travail (OIT), que le Mexique a ratifiée, et aux conventions fondamentales de l'OIT, dont la convention n° 98.
Parmi les éléments les plus controversés de ces propositions, on note :
1. Elles permettent un recours illimité à l'externalisation et suppriment les articles et dispositions qui réglementent cette pratique. Les employeurs pourront externaliser à la seule condition de respecter les droits minimums établis par la loi et auront toute liberté d'utiliser des contrats d'emploi individuels pour fixer les conditions de travail. D'après l'avocat mexicain Arturo Alcade, spécialiste du droit du travail, cela veut dire que "le travail devient une marchandise dont le prix et les conditions seront fixés librement dans un contrat commercial. Elles protègent inconditionnellement les employeurs qui pourront externaliser le travail et éviter d'employer des travailleurs qui pourraient être appelés à la grève". Actuellement, la loi fixe des limites à l'externalisation. Par exemple, elle n'autorise pas les entreprises à organiser toute leur main-d’œuvre sur ce modèle, ni à recruter indirectement des travailleurs pour des tâches effectuées par des travailleurs employés directement. En outre, ces propositions ne prévoient rien s'agissant des pensions et de l'accès aux services de santé, ce qui veut dire que leur adoption serait une catastrophe pour la classe laborieuse.
2. Elles suppriment des garanties qui, actuellement, imposent que le licenciement se fasse par préavis écrit. Elles introduisent des règles de procédure qui laissent les travailleurs sans défense face aux employeurs.
3. Elles rejettent l'obligation d'une consultation préalable par la voie d'un vote à bulletin secret pour l'approbation d'une convention collective. Le gouvernement avait promis à la communauté internationale de supprimer les contrats de protection des employeurs, mais les nouvelles propositions permettent aux employeurs de continuer à choisir le syndicat qui a leur préférence.
4. Elles proposent la création d'une nouvelle agence chargée d'enregistrer les syndicats et les conventions collectives, mais elle serait aux mains des syndicats jaunes et des employeurs. Elles perpétuent le même pseudo-tripartisme que la réforme de la constitution était précisément supposée éliminer et qui n'autorise que les syndicats jaunes à "représenter" les travailleurs. Elles proposent qu'ils aient chacun quatre représentants au conseil d'administration de la nouvelle agence.
5. Elles instituent un mécanisme d'autorisation trompeur qui permettra d'enregistrer des conventions collectives, même si elles ne respectent pas les critères légaux minimums, lorsque l'agence ne réagit pas dans un délai donné à la demande d'enregistrement d'un employeur.
6. Elles enfreignent des dispositions de la Loi sur la transparence et l'accès à l'information publique qui imposent aux pouvoirs publics de mettre les informations relatives aux syndicats et aux contrats d'emplois à la disposition du public. Ces propositions limitent ce droit et ne tiennent pas compte de la nouvelle loi.
Le décret reprenant les amendements à une série de dispositions de la constitution a été publié au Journal officiel le 24 février 2017. Il y est écrit que les modifications de la constitution prendront effet un an après cette date, ce qui implique le vote d'arrêtés d'application au 15 décembre 2017.
À quelques jours de cette date, l'espoir que cette réforme apporte des changements significatifs pour les travailleurs mexicains a été étouffé par ces nouvelles propositions qui répondent aux intérêts du gouvernement, des employeurs et des chambres patronales et s'attaquent aux droits de l'homme et aux droits au travail les plus fondamentaux.
Des syndicats indépendants et des avocats progressistes se sont réunis d'urgence le 11 décembre pour préparer une riposte qui aura le soutien d'IndustriALL Global Union.
Valter Sanches, le Secrétaire général d'IndustriALL, a déclaré :
"Le Mexique s'inscrit dans la tendance mondiale des réformes du travail qui concrétisent la fausse promesse de nouveaux investissements mais ne font que rendre le travail encore plus précaire. On s'attendrait à ce que n'importe quelle réforme mise en œuvre au Mexique démocratise les relations du travail, fasse respecter la liberté syndicale et, en particulier, mette un terme aux contrats de protection. Les travailleurs ont le droit de s'organiser et de choisir eux-mêmes leur syndicat. Ils ont aussi le droit de ne pas faire l'objet de menaces, voire pire, comme récemment dans le cas des assassinats de travailleurs à la mine de Media Luna".
Il s'agit d'une réédition de l'article publié le 9 décembre 2017 dans le quotidien mexicain La Jornada sous le titre “Grotesca Iniciativa de Reforma Laboral”, par Arturo Alcalde Justiniani, diplômé en droit de l'Université nationale autonome du Mexique (Universidad Nacional Autónoma de Mexico) et en économie et technologie à Monterrey.
Pour plus d'information, voir l'article dans Sin Embargo "Iniciativa de senadores de CTM y CROC elimina derecho a pensión y salud de TODOS los trabajadores".