2 août, 2018La Cour constitutionnelle de Turquie a jugé que le décret ministériel interdisant la décision de l’affilié à IndustriALL, le syndicat des métallurgistes (Birleşik Metal-İş), de faire grève en 2015 constitue une violation flagrante des droits syndicaux consacrés par la Constitution turque. La Cour a également enjoint au gouvernement turc de verser des indemnités à Birleşik Metal-İş.
En janvier 2015, l’affilié à IndustriALL Global Union, Birleşik Metal-İş, a lancé une grève dans 38 lieux de travail après que les négociations collectives menées avec l’Association des employeurs de l’industrie métallurgique (MESS) aient échoué. La grève était interdite néanmoins, dès le lendemain, par le gouvernement pour cause de menace à la sécurité nationale.
A l’époque, Birleşik Metal-İş avait introduit une demande auprès des tribunaux administratifs et du Conseil d’Etat visant à annuler le décret du gouvernement, affirmant qu’une grève dans le secteur de la métallurgie ne peut aucunement porter atteinte à la sécurité nationale. L’appel n’avait pas été accepté par le Conseil d’Etat malgré la jurisprudence existante.
Selon la Constitution turque, une fois toutes les voies de recours ordinaires épuisées, « tout le monde peut introduire une demande auprès de la Cour constitutionnelle au motif qu’un des droits fondamentaux et des libertés fondamentales inscrits dans la Convention européenne des droits de l’homme et garantis par la Constitution, ait été violé par les autorités publiques ».
Aussi, le syndicat a porté l’affaire devant la Cour constitutionnelle, laquelle a jugé que l’interdiction de grève constituait une violation des droits syndicaux et que l’invocation de la sécurité nationale avait été arbitraire. En outre, la Cour a ordonné au gouvernement de verser 50 000 lires turques (9 000 euros) au syndicat à titre d’indemnités.
Une autre session de négociations collectives s’est déroulée depuis l’interdiction de la grève en 2015, à l’issue de laquelle le gouvernement a, une fois de plus, interdit les grèves au motif d’atteinte à la sécurité nationale. La dernière décision de la Cour est toutefois perçue comme une victoire du syndicat.
Dans une déclaration, Birleşik Metal-İş a indiqué:
Par cette décision, la Cour constitutionnelle a ouvertement montré que le Cabinet ministériel prend des décisions arbitraires en interdisant les grèves et porte ainsi atteinte au droit de grève. Cette décision intervient toutefois plus de trois ans après l’interdiction de faire grève et l’indemnisation est trop faible; on ne peut donc guère parler de justice. L’interdiction de la grève a fait perdre davantage aux travailleurs que le montant demandé.
Néanmoins, il est important que la plus haute juridiction du pays ait jugé que ces interdictions de faire grève violent la constitution. La Cour constitutionnelle a jugé que la notion de sécurité nationale est ouverte à des interprétations subjectives pouvant conduire à des décisions arbitraires. Le gouvernement n’a pas expliqué de quelle façon ces grèves étaient susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale, et l’expression sécurité économique – qu’il utilise pour justifier l’interdiction – ne constitue pas une raison valable. C’est ce qui explique la décision de la Cour selon laquelle l’interdiction de faire grève a violé les droits syndicaux.
La Cour constitutionnelle était arrivée aux mêmes conclusions en 2015 au sujet de l’interdiction de la grève dans le secteur du verre, initiée par un autre affilié à IndustriALL, Kristal-İş, en juin 2014, et qui concernait 5 800 travailleurs employés dans 10 usines appartenant à la société Sisecam. A l’époque, la Cour avait soutenu que la notion de sécurité nationale devait être interprétée sans tenir compte des opinions personnelles et des accords, voire des pratiques discrétionnaires.
En rendant cette nouvelle décision, la Cour constitutionnelle confirme son jugement en tant que jurisprudence établie. Néanmoins, la première décision de la Cour constitutionnelle en 2015 n’a pas mis fin aux interdictions de faire grève dans différents secteurs, dont les secteurs métallurgique, minier et banquier. Par ailleurs, l’article pertinent de la loi sur les syndicats et les conventions collectives (loi no 6356) a été amandé par décret gouvernemental durant l’état d’urgence. Ainsi, en plus de « la santé publique et la sécurité nationale », les gouvernements peuvent interdire les grèves dans les services de transport publics fournis par les municipalités métropolitaines et dans les services bancaires si elles portent atteinte à la stabilité économique ou financière ». Cet amendement vient ainsi réduire encore le droit de grève.
Le Secrétaire général adjoint d’IndustriALL Global Union, Kemal Özkan, a déclaré:
Le droit de faire grève est continuellement altéré de multiples façons en Turquie. Le gouvernement turc utilise la sécurité nationale pour interdire les grèves et favorise les employeurs au détriment des travailleurs. La décision de la Cour constitutionnelle montre que les actions du gouvernement violent les droits syndicaux consacrés par la Constitution et garantis par les conventions internationales dont la Turquie est Partie.
Nous continuerons à soutenir nos affiliés turcs jusqu’à ce que le droit de faire grève soit respecté aussi bien en pratique qu’en droit.