9 juin, 2022Malgré l'appel lancé par les syndicats du Myanmar en faveur de sanctions économiques complètes contre le régime militaire, de nombreuses enseignes de confection mondiales continuent de s'approvisionner dans le pays. La réponse de la communauté internationale aux violations des droits de l'homme au Myanmar contraste fortement avec la situation concernant la Russie.
RAPPORT SPÉCIAL De Global Worker No 1 juin 2022 | |
Pays: Myanmar Texte: Walton Pantland |
Depuis le coup d'État militaire du 1er février 2021, la junte du Myanmar a commis des violations des droits de l'homme qui, selon Michelle Bachelet, haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, “peuvent s'apparenter à des crimes de guerre et à des crimes contre l'humanité”. Elle a ajouté que “l'ampleur et la portée effroyables des violations du droit international subies par le peuple du Myanmar exigent une réponse internationale ferme, unifiée et résolue. ”
Plus de 10.000 prisonniers politiques, dont des militants syndicaux, sont en détention, et au moins 1.800 civils, dont 54 militants ouvriers, ont été tués par la junte. Seize syndicats et fédérations, dont la Fédération de l’industrie du Myanmar (IWFM), affiliée à IndustriALL, ont été interdits.
Malgré cela, de nombreuses enseignes de confection mondiales continuent de fonctionner comme si de rien n'était. Les enseignes qui ont quitté la Russie dans les jours qui ont suivi l'invasion de l'Ukraine trouvent des excuses pour rester au Myanmar, la plus courante étant qu'elles représentent une force du bien et qu'elles peuvent protéger les travailleurs et travailleuses en faisant preuve de “diligence raisonnable renforcée”.
Pour les travailleurs et les syndicalistes, la situation est très difficile : l'OIT estime que 220.000 travailleurs et travailleuses de la confection ont perdu leur emploi et l'IWFM estime que 120.000 autres pourraient avoir perdu leur emploi et leur salaire en raison de fermetures temporaires, de mises en disponibilité ou de réductions de la production qui n'ont pas été rapportées dans les chiffres du chômage.
Des syndiqués qui étaient protégés par des conventions collectives avant le coup d'État ont été licenciés et remplacés par des travailleurs occasionnels sans droits. L'IWFM a documenté de nombreux cas de personnes licenciées sans indemnité et de forces de sécurité se rendant au domicile de dirigeants syndicaux pour les arrêter après que des directeurs d'usine leur aient communiqué des informations personnelles. Il existe des cas de travailleurs protestataires abattus, de travailleurs injustement licenciés, de dirigeants syndicaux dont la vie a été menacée et qui ont été pris pour cible par les forces de sécurité.
Les recruteurs, éducateurs, négociateurs et dirigeants de l'IWFM sont recherchés par l'armée. La plupart des travailleurs et travailleuses de la confection gagnent désormais moins de 1,80 dollar par jour, tandis que des centaines de milliers de personnes ont été licenciées du secteur public, des hôpitaux, des écoles, des universités et des chemins de fer pour avoir refusé de travailler pour les militaires.
Dans une lettre adressée à l'OIT, l'IWFM a déclaré qu'elle
“ne peut pas protéger correctement les droits des travailleurs sous la dictature militaire, car les syndicats démocratiques ne peuvent pas fonctionner librement. Néanmoins, nous avons essayé de protéger les travailleurs et les travailleuses en 2021 en travaillant avec les enseignes par le biais du mécanisme de dialogue que nous avons construit.
L'expérience acquise tout au long de cette année de négociation montre désormais clairement que les enseignes occidentales ne peuvent pas protéger les droits des travailleurs.”
De nombreux cas ont été signalés dans des usines, souvent de propriété chinoise, produisant pour des enseignes telles que Adidas, H&M, C&A, Tesco, Bestseller et Inditex. L'IWFM a soulevé ces violations auprès des enseignes et beaucoup ont trouvé une solution. Mais comme la diligence raisonnable est impossible dans une dictature militaire, certaines usines ont nié les allégations et ces cas ne sont pas résolus. L'IWFM a documenté des cas de travailleurs et travailleuses menacés de licenciement s'ils ne mentaient pas sur les conditions de travail et des cas où les militaires ont forcé les travailleurs à rendre leurs indemnités sous la menace d'une arme.
Parce que les syndicats ne peuvent pas opérer librement et que la diligence raisonnable est impossible, les syndicats du Myanmar estiment que le pays risque de se transformer en un vaste camp de travail forcé. Au cours de l'été 2021, le mouvement syndical du Myanmar a lancé un appel en faveur de sanctions économiques complètes, affirmant que la priorité doit être de priver le régime de ressources et notamment de devises étrangères.
IndustriALL a soutenu l'appel aux sanctions lors de son Congrès de septembre 2021 et a écrit aux entreprises opérant au Myanmar, leur demandant de cesser leurs activités jusqu'à ce que la démocratie et les droits fondamentaux des travailleurs soient rétablis. De nombreuses entreprises ont ensuite quitté le pays, notamment Voltalia, POSCO, Telenor, Total, Chevron, Shell, Woodside Petroleum et Bridgestone. Total a déclaré que les violations croissantes des droits de l'homme l'empêchent d'apporter une contribution positive à la société.
En revanche, la plupart des fabricants de vêtement sont restés. Si certains se sont engagés à ne pas passer de nouvelles commandes, le cycle de production implique que de nombreux producteurs ont des engagements en cours jusqu'en 2022. L'industrie du textile et de la confection est une source importante de devises étrangères pour le pays et les syndicats craignent qu'avec le temps, la collaboration avec la dictature militaire ne se normalise.
Les enseignes de la confection affirment que quitter le pays de manière responsable est une tâche complexe, mais l'expérience de la Russie montre que lorsque la volonté politique existe, il est possible d'agir rapidement. Face aux sanctions mondiales et à l'indignation générale du grand public, H&M, par exemple, a fermé tous ses magasins en Russie dans les jours qui ont suivi l'invasion de l'Ukraine. L'entreprise s'approvisionne toujours au Myanmar.
L'un des principaux obstacles est que, contrairement au cas de la Russie, la communauté internationale est divisée sur la situation au Myanmar et sur l'utilité des sanctions. Alors que le Conseil d'administration de l'État de la junte militaire est de plus en plus isolé de la diplomatie internationale avec, par exemple, l'ONU ayant refusé ses lettres de créance, de son côté le gouvernement démocratique en exil du Myanmar, le gouvernement d'unité nationale (GUN), n'est pas largement reconnu par la communauté internationale comme le gouvernement légitime. Le mouvement syndical international soutient l'appel des syndicats du Myanmar en faveur de la reconnaissance diplomatique du GUN.
Le GUN a souligné l'importance de ne pas fournir de revenus à la junte, déclarant récemment que “le GUN souhaite rappeler que toutes les entreprises ont pour instruction de NE PAS payer d'impôts ni de fournir de revenus au régime militaire du Myanmar. S'il n'est pas possible d'éviter de payer les militaires, la seule option est de suspendre les activités commerciales jusqu'à ce que la démocratie soit pleinement restaurée au Myanmar.”
Il n’est pas possible pour les enseignes mondiales opérant au Myanmar d'éviter de fournir des revenus à l'armée, sous la forme de taxes, de droits d'importation sur les tissus, de coûts de services publics pour les entreprises appartenant à l'armée et de frais dans les deux ports du Myanmar, qui appartiennent tous deux à l'armée.
Le principal obstacle à la campagne de sanctions est l'Union européenne, qui accorde actuellement au Myanmar un accès sans droits de douane à ses marchés par le biais du programme de préférences commerciales Tout sauf les armes (TSA). Ce programme a été très bénéfique pour l'économie du Myanmar, puisque l'UE compte pour plus de la moitié des exportations de vêtements du Myanmar.
Si, par le passé, l'UE a eu recours à des sanctions pour pousser le Myanmar vers la démocratie, les intérêts commerciaux ont fait pression contre cette approche et la position actuelle de l'UE est que les liens économiques et un engagement constructif sont la meilleure façon d'avancer. C'est ce même raisonnement qui a conduit l'Europe à devenir fortement dépendante du pétrole et du gaz russes. Alors que la menace existentielle d'une guerre sur le continent européen et l'afflux de réfugiés dans l'UE ont conduit l'UE à agir rapidement et énergiquement pour isoler économiquement la Russie, le Myanmar semble être suffisamment éloigné pour éviter de prendre des mesures équivalentes.
L'initiative TSA a été élaborée à l'origine comme un moyen de soutenir la démocratie par le biais du commerce, mais l'UE est devenue dépendante de la production bon marché des chaînes de valeur mondiales. Le Myanmar est une destination très attrayante pour les enseignes de confection, qui ont réalisé d'importants investissements dans le pays. L'absence de retrait de l’initiative TSA est en contradiction avec un corpus législatif de plus en plus important, notamment la loi allemande sur la diligence raisonnable et une directive européenne.
Les syndicats du Myanmar craignent que la crise ukrainienne et d'autres problèmes n'entraînent un déplacement de l'attention du monde. Si l'armée peut gagner suffisamment de temps, elle pourra renforcer et consolider son pouvoir par le biais d'un processus électoral bidon et travailler à la normalisation de ses relations diplomatiques et économiques.
Alors que la marge pour un changement pacifique se réduit au Myanmar, de nombreuses personnes rejoignent l'insurrection armée. Cette situation présente de graves risques environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) pour les enseignes de confection. En choisissant d'opérer dans une zone de conflit, elles doivent faire preuve de diligence raisonnable en matière de droits de l'homme et éviter de se rendre complices de violations. Les enseignes risquent une atteinte à leur réputation, des litiges, des plaintes de l'OCDE et la révolte des actionnaires. Il existe également un risque de perturbation de la chaîne d'approvisionnement en raison d'une accentuation du conflit.
Le Secrétaire général d'IndustriALL, Atle Høie, a déclaré :
“La situation au Myanmar risque de dégénérer en une guerre civile. Après plus d'un an d'attaques armées de la part des militaires contre des civils, les gens rejoignent maintenant des milices armées pour se défendre. Ceci est dû à la fermeture des voies démocratiques de changement.
Des sanctions économiques complètes sont la solution non violente pour ramener la démocratie au Myanmar. Plus les enseignes mondiales de confection continueront de s'y approvisionner, plus leur complicité sera grande et plus le martyre du Myanmar se prolongera.”