23 décembre, 2020L’épidémie de Covid-19 est en train de changer notre façon de travailler et les cols blancs sont particulièrement touchés. Pour eux, l’avenir du travail c’est déjà maintenant et les syndicats doivent faire face à ces évolutions.
“Avec l’automatisation croissante des industries, il y aura davantage de cols blancs ; la transformation technologique vient estomper la démarcation entre cols bleus et cols blancs. Avec Industrie 4.0 et le développement du télétravail et du travail en ligne, les employés risquent de devenir de plus en plus stressés, sans distinction claire entre le travail et le temps libre, avec une évolution rapide des compétences et une pression constante à se réadapter.
Les syndicats doivent être présents pour répondre aux besoins de tous les travailleurs et travailleuses et faire réglementer les nouvelles méthodes de travail,”
indique Atle Høie, Secrétaire général adjoint d’IndustriALL Global Union.
La pandémie a également entraîné une augmentation du chômage parmi les cols blancs. En Inde, ce sont eux qui ont subi les plus fortes pertes d’emploi ; en Suède, Unionen signale une augmentation du chômage parmi les consultants et les travailleurs des petites entreprises. La CGC-CFE a fait état d’une augmentation du nombre de licenciements parmi ses membres. Les travailleurs en sous-traitance sont plus touchés, car leurs petites et moyennes entreprises ont du mal à résister au ralentissement économique. La situation pourrait s’aggraver l’année prochaine et nul ne sait de quoi sera fait l’emploi de ces travailleurs.
Début 2020, moins de cinq pour cent d’entre eux effectuaient leur travail à distance, selon le FEM. Aujourd’hui, plus de la moitié des travailleurs hautement qualifiés travaillent à distance et le télétravail généralisé pourrait devenir une caractéristique permanente. Selon ce rapport, 84 % des employeurs sont prêts à numériser rapidement les processus de travail, y compris par une expansion significative du travail à distance, avec la possibilité de consacrer 44 % de leurs effectifs à des activités à distance.
Selon les enquêtes menées par les employeurs et les syndicats auprès des travailleurs et travailleuses qui fonctionnent à domicile depuis le début de la pandémie, ces personnes seraient désireuses de continuer à télétravailler plusieurs jours par semaine, citant l’autonomie et la flexibilité parmi leurs principales raisons.
Les questions qui ont été soulevées, telles que le manque de matériel informatique approprié, le mauvais environnement ergonomique, lors de la mise en place du télétravail si rapidement et à si grande échelle en mars de cette année, soulignent la nécessité d’une planification et d’une réglementation appropriées.
Le guide juridique de la CSI sur le télétravail résume les nouvelles préoccupations à traiter, notamment les contraintes ergonomiques ; l’émergence de risques psychosociaux pour la santé et la sécurité liés à l’isolement de ces collègues ; les questions liées à la vie privée des travailleurs et travailleuses étant donné que la capacité des employeurs à utiliser la surveillance électronique est renforcée ; la limitation de l’avancement professionnel, en particulier des femmes ; le risque associé de violence domestique ; la démarcation floue entre le travail et la vie familiale et le stress accru qui en découle, principalement pour les travailleuses ; le rôle limité des inspections du travail, qui rend l’application du droit du travail plus difficile.
Les syndicats doivent de toute urgence négocier de nouvelles conventions pour réglementer le télétravail. De nouvelles législations et conventions sur le télétravail ont été négociées. L’OIT a publié un guide pratique sur le télétravail pendant la pandémie et au-delà. Des syndicats, comme Unite au Royaume-Uni, ont élaboré des principes directeurs et des conventions types.
Les syndicats devront également s’adapter à ces nouvelles conditions de travail. Comment les syndicats accomplissent-ils leur travail lorsque les travailleurs et travailleuses fonctionnent à distance ? Comment s’assurer que le travail à distance ne sera pas une excuse pour déplacer l’emploi vers des pays où le droit du travail n’est pas respecté ?
La crise actuelle, associée aux nouvelles technologies, a amené les entreprises à repenser leurs méthodes de travail et pourrait contribuer à l’augmentation du travail à la chaîne chez les employés. Le « crowdworking » (travail associatif) est apparu au début des années 2000 et consiste en une externalisation du travail vers un vaste groupe de travailleurs en ligne, géographiquement dispersés, par l’intermédiaire de plateformes numériques qui fournissent l’infrastructure technique permettant aux demandeurs de proposer des tâches à des travailleurs potentiels.
Outre la mise en relation des clients et des travailleurs, les plateformes s’occupent également de la passation de contrats, du suivi du temps de travail, des contrôles, de la facturation et de la résolution des litiges, ce qui permet d’effectuer l’ensemble des relations à distance. Les emplois vont de la programmation informatique sophistiquée, en passant par l’analyse de données et la conception graphique, à de simples micro-tâches de bureau.
Il est difficile d’obtenir des données sur l’ampleur du crowdworking, mais selon l’OIT, le marché du travail en ligne a connu une croissance de 25,5 % entre juillet 2016 et juin 2017.
La majorité des employeurs sont situés dans des pays à revenu élevé, tandis que la plupart des travailleurs et travailleuses se trouvent dans des pays à revenu faible ou moyen. La plus grande partie de la demande de travail en ligne, 41 %, provient d’employeurs basés aux États-Unis.
La pandémie a montré le potentiel d’une main-d’œuvre numérique. Les entreprises pourraient désormais favoriser les sous-traitants en ligne et à distance embauchés par le biais de plateformes web par rapport aux travailleurs sous-traitants sur site embauchés par des agences de placement traditionnelles. Par exemple, pour la mise en place et la maintenance d’outils numériques, si les grandes entreprises disposent de prestataires de services informatiques, les petites et moyennes entreprises pourraient se tourner vers les plateformes de travail en ligne pour répondre à ces besoins.
Les travailleurs se tournent vers le crowdworking en quête de plus de flexibilité et d’autonomie, ou d’un complément de salaire provenant d’un autre emploi, ou ils ne peuvent tout simplement pas trouver de travail traditionnel. Les avantages liés au crowdworking ne doivent pas cacher la précarité et l’insécurité de cette forme d’emploi, ainsi qu’une protection sociale faible ou inexistante. En outre, cette façon de travailler peut exacerber les inégalités entre les sexes.
La majorité du crowdworking n’est pas soumis à la réglementation du travail, de sorte que les travailleurs n’ont guère de prise sur le moment où ils auront du travail ou sur les conditions dans lesquelles s’effectue ce travail. Ils disposent également de possibilités de recours limitées en cas de traitement inéquitable.
Des affiliés d’IndustriALL défendent les droits des travailleurs occupés par des plates-formes et prennent dans plusieurs pays des mesures pour améliorer leurs conditions de travail. En 2015, les syndicats ont lancé le site FairCrowdWork.org, qui recueille auprès des travailleurs et des syndicats des informations sur le crowdworking, le travail basé sur des applications et d’autres formes de travail reposant sur les plates-formes. Le site propose des évaluations des conditions de travail sur différentes plateformes de travail en ligne, basées sur des enquêtes menées auprès des travailleurs et travailleuses. Il s’agit d’un projet conjoint de la Chambre autrichienne du travail, de la Confédération autrichienne des syndicats et de Unionen.
En 2017, IG Metall, les plateformes signataires et l’Association allemande de production participative (crowdsourcing) ont créé un Bureau de médiation pour faire appliquer un code de conduite et résoudre les conflits entre les travailleurs et les plateformes signataires. Le Bureau du Médiateur, géré par IG Metall, résout tout litige.
“Les syndicats doivent prendre des mesures innovantes pour répondre aux besoins et aux préoccupations des cols blancs si nous voulons syndiquer davantage d’entre eux et adapter et encadrer l’avenir du travail,”
estime Atle Høie.