15 décembre, 2021Lors de leur troisième Congrès, le 15 septembre 2021, les affiliés d’IndustriALL Global Union se sont prononcéà l’unanimité pour soutenir la campagne de sanctions économiques exhaustives organisée par l’Alliance syndicale du Myanmar contre la junte militaire du pays. Cette campagne appelle à un désinvestissement du pays et à ce que toutes les entreprises qui y opèrent cessent leurs activités et ne passent aucune nouvelle commande.
ENQUÊTE Global Worker No. 2 novembre 2021 | |
Pays: Myanmar Texte: Walton Pantland |
Comme suite à cette décision, IndustriALL a écrit aux multinationales ayant des relations d’affaires au Myanmar, notamment les grands acteurs de d’énergie et de la sidérurgie ainsi qu’aux enseignes de mode, pour leur demander d’y cesser leurs activités. Plusieurs ont répondu positivement. IndustriALL a également contacté des initiatives multipartites afin d’obtenir un soutien pour cette campagne.
Pourquoi IndustriALL a-t-elle pris cette décision?
L’appel aux sanctions a été lancé par les syndicats du Myanmar et a été longuement débattu au sein d’IndustriALL et parmi ses affiliés au cours de l’été. Un représentant d’un affilié d’IndustriALL, la Fédération des travailleurs industriels du Myanmar (IWFM), s’est adressé au Congrès pour demander aux délégués de soutenir la campagne en faveur de sanctions économiques exhaustives. IndustriALL fait confiance au jugement des affiliés et des organisations qui composent l’Alliance syndicale du Myanmar, sur la ligne d’action la plus appropriée pour eux-mêmes. Le soutien aux sanctions est une déclaration de solidarité avec un mouvement syndical assiégé qui souffre sous un régime militaire brutal. Les délégués du Congrès ont estimé qu’ils n’avaient pas à critiquer les revendications de syndicats confrontés à une situation extrême.
La quasi-totalité du mouvement syndical du Myanmar, sous l’égide de l’Alliance syndicale du Myanmar, qui comprend la Confédération des syndicats du Myanmar et l’IWFM, participe à la campagne en faveur des sanctions économiques. Les syndicats du Myanmar ont fait preuve de discernement: bien que les sanctions soient douloureuses, les violations des droits de l’homme commises par les militaires sont si extrêmes que la priorité doit être de renverser le régime le plus rapidement possible.
L’appel aux sanctions n’est pas un fait isolé, mais s’inscrit dans une campagne coordonnée visant à isoler la junte militaire, en imposant un embargo sur les armes et en lui refusant toute reconnaissance diplomatique au sein des organes de l’ONU. Les syndicats du Myanmar appellent à la reconnaissance internationale du Gouvernement d’unité nationale (GUN), composé des députés démocratiquement élus qui ont été évincés par le coup d’État. Ils maintiennent toutefois une politique indépendante, fondée sur les revendications des travailleurs. Le GUN s’oppose à des sanctions exhaustives, mais a appelé les citoyens à se joindre à un soulèvement contre le régime. Les syndicats préfèrent la solution non-violente des sanctions, de la pression diplomatique et des actions syndicales.
L’appel aux sanctions a été largement critiqué, tant par ceux qui font l’apologie du régime militaire que par des personnes de bonne foi qui soutiennent la démocratie au Myanmar. La plupart des critiques soulignent que les sanctions entraîneront des pertes d’emplois et nuiront davantage aux travailleurs et travailleuses qui souffrent déjà. Certains affirment également que les travailleurs et travailleuses n’ont pas été suffisammentconsultés avant la décision. Les critiques appuient leur position en trouvant des exemples, généralement anecdotiques, de travailleurs s’opposant aux sanctions et en appelant à un engagement constructif et à des sanctions ciblées contre les seules entreprises ayant des liens avec l’armée.
Le mouvement syndical du Myanmar a répondu aux critiques en soulignant que s’il ne peut prétendre représenter tous les travailleurs du pays, les structures syndicales démocratiques sont plus représentatives que des données anecdotiques. Ils soulignent que la diligence raisonnable et l’engagement constructif sont impossibles en raison de la nature des violations des droits de l’homme. Des propriétaires d’usines ont transmis les coordonnées de membres de syndicats à l’armée. De nombreux syndicalistes ont été arrêtés, certains ont été tués et beaucoup d’autres doivent se cacher. Le régime a lancé une campagne offensive à grande échelle visant à écraser l’opposition, en bombardant récemment une ville de la province de Chin à l’artillerie lourde. Jusqu’à présent, l’armée a tué plus de 1.200 personnes.
Précédent historique
Bien qu’il soit inhabituel pour les syndicats d’appeler à des sanctions économiques contre leur pays et contre leurs employeurs, ce n’est pas sans précédent. Pendant la lutte contre l’apartheid, les syndicats d’Afrique du Sud ont appelé à des sanctions économiques exhaustives contre le pays, à un boycott de tous les produits sud-africains et à un désinvestissement des entreprises étrangères dans le pays. L’appel au boycott et aux sanctions a été controversé à l’époque, tant en Afrique du Sud qu’au niveau international, de nombreuses personnes appelant à un dialogue constructif avec le régime raciste.
Deux facteurs sont importants dans le cas de l’Afrique du Sud: les sanctions n’étaient pas une tactique isolée, mais faisaient partie d’une lutte généralisée contre le régime d’apartheid, et l’appel aux sanctions émanait des travailleurs et travailleuses qui seraient les plus touchés.
L’appel aux sanctions n’a jamais été soutenu universellement par tous les travailleurs, mais lorsque le gouvernement d’apartheid a accru sa brutalité dans les années 1980, assassinant des dirigeants politiques et utilisant l’armée pour maintenir l’ordre dans les quartiers ouvriers, une majorité a fini par soutenir l’idée que “les sanctions font mal, mais l’apartheid tue.
En 1984, les travailleurs syndiqués des supermarchés Dunnes Stores à Dublin, en Irlande, ont refusé la manutention de fruits sud-africains, faisant grève pendant trois ans jusqu’à ce que le gouvernement irlandais interdise les importations sud-africaines. Le soutien aux sanctions s’est accru au sein du mouvement syndical international, ce qui a conduit à l’isolement économique et politique du régime. Les fondements économiques du régime ont été par ailleurs sapés par des vagues d’actions syndicales et de désobéissance civileen Afrique du Sud. En conséquence, l’apartheid est rapidement devenu insoutenable et le régime a été contraint de négocier une transition vers la démocratie.
Les sanctions au Myanmar fonctionnent-elles?
Le coup d’État de février au Myanmar a rencontré beaucoup plus de résistance que la junte militaire ne l’avait prévu. Une résistance généralisée a vule lancement du Mouvement de désobéissance civile, des grèves et le refus de la fonction publique de travailler sous les ordres du régime. Cela a conduit le régime à agir avec une brutalité accrue, en utilisant les forces spéciales militaires, qui sont habituellement déployées pour réprimer les minorités ethniques dans les régions frontalières, contre les gens ordinaires dans les villes.
Malgré cette répression, le régime militaire n’a pas encore été en mesure de consolider son contrôle sur le pays et la résistance reste forte. Pour soutenir cette offensive militaire, le régime doit acheter des armes à des pays dont il est improbable qu’ils lui prolongent indéfiniment leur crédit.
Le Myanmar est actuellement proche de l’effondrement économique. La valeur de la monnaie a chuté de 30 % et l’économie s’est contractée de 18 % depuis le coup d’État. Cette situation risque de s’aggraver à mesure que les entreprises terminent leurs commandes et quittent le pays. Les sanctions rendent les activités du régime beaucoup plus difficiles.La stratégie des partisans des sanctions consiste à priver le régime de toutes ses ressources afin qu’il s’effondre le plus rapidement possible, avant qu’il ne soit en mesure de consolider son pouvoir et de commencer à normaliser ses relations diplomatiques. À moins que le
régime ne trouve de généreux soutiens étrangers, il ne sera pas en mesure de maintenir les niveaux actuels d’oppression