20 mai, 2019En dépit de réglementations du travail et des efforts des syndicats, les accidents dans les mines coûtent toujours la vie à des milliers de travailleurs chaque année dans le monde et portent sérieusement préjudice à l’environnement. Pourquoi le travail dans les mines est-il toujours si dangereux ?
Un coup de grisou dans un charbonnage au Pakistan tue quatre travailleurs et en piège quarante autres sous terre. Au Zimbabwe, 28 personnes se noient dans une mine d’or artisanale lorsque celle-ci se retrouve inondée. Une mine à ciel ouvert s’effondre au Congo. Une explosion tue 304 mineurs à Soma, en Turquie. Des mineurs sont piégés dans une exploitation de cuivre au Chili, des mineurs sont tués lors d’accidents dans des charbonnages en Nouvelle-Zélande et en Virginie-Occidentale. Au Brésil, 300 personnes au moins trouvent la mort lorsque le barrage minier de Brumadinho se rompt. Explosion. Éboulement. Inondation. Incendie. Empoisonnement au monoxyde de carbone. Des corps perdus sous terre que l’on ne va jamais récupérer. Des proches en deuil qui ne peuvent pas tourner la page.
Des mineurs meurent chaque jour dans des charbonnages en Chine, alors qu’au Pakistan, des accidents se produisent chaque semaine, pratiquement dans les mêmes circonstances :
un coup de grisou dans une mine illégale ou officieuse, sans service de secours, assistance médicale ou protocole pour gérer les accidents à disposition. Ce sont les mineurs eux-mêmes qui sortent leurs collègues de terre et leur prodiguent les premiers soins.
Nous sommes confrontés à une abrutissante litanie quotidienne d’horribles accidents miniers, certains tellement routiniers qu’ils sortent à peine du lot, apparaissant tout juste dans la presse locale. Travailler dans une mine sera toujours plus dangereux que dans un bureau. Mais ce danger inhérent et le tribut incessant à la mort induit un fatalisme et constitue un obstacle aux efforts pour rendre l’activité minière plus sûre. On attend des mineurs qu’ils acceptent que mourir au travail fait partie des risques du métier.
Et ceux qui en reviennent sont confrontés à une cohorte de maladie et de blessures. Les maladies professionnelles tuent davantage de personnes que les accidents. Silicose, asthme du mineur, membres amputés, environnement toxique qui empoisonne les communautés environnantes.
Nous avons des milliers d’années d’expérience et d’expertise en matière d’extraction minière. À n’en pas douter, nous devrions maintenant savoir comment empêcher qu’autant de mineurs ne meurent.
La vérité est que nous savons. Mais il est meilleur marché de tuer des mineurs que de rendre les mines plus sûres.
Le plus grand obstacle à la sécurité des mines, la raison pour laquelle tant de mineurs sont tués au travail, c’est le profit. Il est entièrement possible d’organiser les tailles de manière sûre, mais cela coûte davantage. Les mines peuvent être consolidées pour prévenir les éboulements, mais cela prend du temps. La sécurité coûte de l’argent et rendrait certaines mines non-rentables. Mais pouvons-nous permettre à des entreprises de tuer des travailleurs pour ramener à la surface les derniers restes d’un gisement épuisé ?
Nous avons des feux routiers, des voies pour des véhicules circulant en sens opposés et un code pour rendre les routes plus sûres au lieu de simplement attendre des conducteurs qu’ils soient prudents. Pour rendre l’exploitation minière plus sûre, il faut mettre des systèmes en place, au lieu de permettre que des conditions dangereuses persistent pour ensuite accuser les mineurs de négligence lorsque des accidents se produisent.
Les connaissances permettant de rendre les activités minières plus sûres ont été rassemblées dans des codes de bonnes pratiques, des principes directeurs et en définitive, la Convention 176 de l’OIT sur la santé et la sécurité dans les mines. Adoptée en 1995, la C176 définit pour les pays un cadre pour constituer un environnement minier sûr, avec des exigences pour les entreprises et des droits pour les travailleurs. Cela signifie créer un cadre légal, développer de l’expertise en matière de sécurité et bâtir un système d’inspection qui puisse imposer la sécurité et sanctionner les contrevenants.
De manière cruciale, pour les travailleurs, cela signifie :
- le droit de connaître et comprendre les danger
- le droit de refuser une tâche dangereuse
- le droit de participer pleinement aux décisions en matière de santé et sécurité
Seuls 33 pays ont ratifié la C176, avec pour absents notoires le Pakistan et la Chine. Créer des mécanismes d’inspection et de sanctions est cher et les puissants lobbies miniers font de la résistance. Il faut faire admettre que la vie des mineurs est plus importante que le profit. La clé pour changer la culture de la sécurité au sein des industries minières est de s’accorder sur une norme mondiale pour la sécurité des mines, la C176, et la faire appliquer grâce à des syndicats puissants et des délégués syndicaux à la sécurité bien formés.
Plus fort est le syndicat, plus sûre est la mine.
Le cas de Brumadinho
Quelques mois à peine se sont écoulés depuis la tragédie de la mine de Brumadinho qui a fait 209 morts et 97 disparus dans l’État de Minas Gerais, au Brésil. Le 25 janvier 2019, le barrage minier de Corrego do Feijão, exploité par Vale, a cédé et les conséquences humaines et environnementales ont choqué le Brésil et le reste du monde.
Un déluge de 13 millions de mètres cubes de boues rouges et de déchets toxiques a tout ravagé sur son passage. Toute une communauté a été ensevelie dans la boue et l’usage de l’eau non-traitée du fleuve Paraopeba a été suspendu après y avoir détecté des métaux à un niveau supérieur à ce que tolère la législation environnementale.
La rupture du barrage minier de Brumadinho est probablement le pire accident industriel de l’histoire du pays. Elle s’est produite trois ans après une catastrophe similaire à Mariana, également dans l’État de Minas Gerais, lorsqu’un barrage appartenant à la compagnie minière Samarco Mineração, propriété de Vale et BHP Billiton, s’est rompu le 5 novembre 2015. Dix-neuf personnes ont perdu la vie et les déchets miniers ont atteint le fleuve Doce, qui fournit de l’eau potable au sud-est du Brésil.
À l’époque, BHP Billiton avait publié un communiqué confirmant que Samarco avait signé un engagement préliminaire auprès des procureurs brésiliens qui assignait des millions de dollars au financement d’une série de mesures d’urgence et de sécurité comprenant de la prévention, une atténuation du préjudice, des corrections et des indemnités liées aux conséquences sociales et environnementales de l’incident.
Pourtant, l’histoire s’est répétée. Qu’est-ce qui a mal tourné ?
Bien que les responsables se soient engagés à adopter des protocoles de sécurité stricts pour leurs barrages, cela ne s’est jamais fait. Les syndicats soutiennent que Vale avait connaissance de possibles problèmes de sécurité sur d’autres barrages, mais a ignoré les signaux d’avertissement.
Le Bureau du Procureur de l’État de Minas Gerais (MPMG) a annoncé l’ouverture d’une enquête sur Vale pour corruption, soupçonnant que ses dirigeants aient pu tromper les autorités du pays en prétendant ne pas avoir connaissance des risques en matière de sécurité posés par le barrage qui s’est rompu à Brumadinho.
De sorte à ne pas gêner le processus, le MPMG, ensemble avec le Bureau du Procureur fédéral ainsi que la Police régionale et fédérale, a recommandé le 1er mars, que Vale suspende temporairement son PDG, Fabio Schvartsman, ainsi que huit autres directeurs et quatre autres personnes impliquées dans l’évaluation des risques. L’entreprise s’est exécutée.
L’enquête a confirmé l’existence d’un conflit d’intérêt entre la compagnie minière et les prestataires de services s’agissant de l’inspection de la sécurité du barrage, de sorte que les inspecteurs externes puissent être mis sous pression et menacés, ce qui s’est traduit par une réduction inappropriée des normes minimales de sécurité appliquées pour évaluer la stabilité du barrage de Corrego do Feijão à Brumadinho.
Depuis lors, l’Agence pour les Mines a commencé à contrôler que d’autres barrages similaires à celui de Brumadinho, ne risquaient pas de se rompre. Il existe 88 barrages miniers construit selon le même principe au Brésil. L’agence a depuis interdit les activités de certains et donné jusqu’à 2021 pour leur démantèlement.
Le Sénat du Brésil a approuvé un projet de loi qui imposerait une série de mesures pour améliorer la sécurité de ces barrages, en plus d’exiger une nouvelle technologie de contrôle ainsi que des plans d’urgence détaillés. Le projet de loi est maintenant devant la Chambre des Députés.
Valter Sanches, Secrétaire général d’IndustriALL Global Union, explique :
“Au Brésil, il existe actuellement différentes réglementations émanant de l’État de Minas Gerais ou du niveau fédéral et on a supprimé les barrages qui se trouvaient dans un état similaire. Ils ont agi après deux très graves accidents.
“Il est important de mentionner que dans d’autres régions du Brésil, Vale utilise des procédés de rétention différents, qui sont secs et fonctionnent bien. Pourquoi le faire dans le Pará (nord du Brésil) et pas en Minas Gerais ? Parce que le minerai de fer vaut moins que l’alumine, le manganèse ou d’autres minerais de plus grande valeur qui couvrent les coûts du système sec, qui est plus cher mais ne présente pas autant de risques.”
La réponse des syndicats
Après les tragédies de Mariana et Brumadinho, les syndicats, tant au Brésil qu’ailleurs dans le monde, ont pris toute une série d’initiatives.
Le 26 mars 2018, IndustriALL, ensemble avec la Fédération internationale des travailleurs du bâtiment et du bois (IBB), a déposé une plainte contre BHP Billiton et Vale en vertu des Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales.
Cette plainte a également été signée par l’affilié de l’IBB, le Syndicat des industries de la construction, des concessions et de la consultance en ingénierie de l’État de Minas Gerais (SITICOP), ainsi que par l’affilié brésilien d’IndustriALL, la CNQ-CUT.
La plainte se réfère aux conséquences de la rupture du barrage de Mariana et identifie des contraventions aux Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales de la part de Vale S.A. et BHP Billiton.
Ces entreprises ont failli à :
porter remède de manière adéquate à la situation et mettre en place un processus de remédiation impliquant les communautés et les travailleurs affectés ;
respecter les droits des syndicats ;
assurer le respect des normes adéquates en matière de santé et sécurité, dont celui de la législation sur le temps de travail ;
agir avec la diligence requise pour assurer l’implication des parties prenantes, dont celle des syndicats.
Pratiquement un an après le dépôt de cette plainte, la catastrophe a frappé Brumadinho. IndustriALL et l’IBB ont immédiatement blâmé l’entreprise pour avoir négligé la prise en compte des principes directeurs du Conseil international des mines et métaux concernant la prévention des ruptures catastrophiques d’unité de stockage sous forme de barrage, publiés après la rupture du barrage de Mariana.
Ils se plaignent également de ce que l’entreprise a aussi failli à adhérer aux normes concernant la gestion des barrages miniers édictées par l’IRMA, l’Initiative pour l’assurance d’une extraction minière responsable (Initiative for Responsible Mining Assurance).
Les syndicats ont exigé que Vale améliore grandement la sécurité, consulte les syndicats et la société civile et indemnise les victimes de manière diligente et équitable à Brumadinho.
Co-coordinatrice de la section des mines d’IndustriALL et Présidente de la CNQ/CUT, Lucineide Varjão, a indiqué :
“Il existe un besoin urgent de passer à un nouveau modèle d’exploitation minière, pour y assurer un rôle au peuple et aux travailleurs et qui mette la priorité la plus grande sur l’environnement et le bien commun. Des événements dommageables comme celui-ci ne sont pas limités au Brésil, ils font partie de la logique de recherche du profit du capital. Les entreprises sont de moins en moins soucieuses de la production et davantage des finances. Donc la mobilisation et la structuration syndicale doivent être supranationales.
“C’est pourquoi nous devons continuer à dénoncer et combattre l’octroi débridé de licences d’environnement et leur contrôle laissés dans les mains des compagnies minières. Nous nous battons pour les droits des femmes et aussi contre cette ambition débridée envers le profit. Des crimes comme ceux-ci nous enseignent combien la vie a de la valeur.”
Que sont les barrages miniers et pourquoi sont-ils dangereux ?
Qu’est qu’un barrage minier destiné aux résidus ?
Ce qu’on appelle les résidus sont les déchets de l’extraction minière. Des procédés mécaniques et chimiques sont utilisés pour réduire la roche en sable fin pour extraire des minerais précieux ou des métaux de la roche qui les contiennent. Tous les restes irrécupérables ou non rentables de ces processus sont des déchets. On y retrouve de fines particules de roche, des produits chimiques, du minerai et de l’eau. Dépendant du type d’extraction, les résidus peuvent se trouver sous forme liquide, solide ou de suspension de fines particules. De nombreuses substances trouvées dans les résidus sont toxiques, parfois même radioactives et il n’est pas rare d’y retrouver de grandes quantités de cyanure, de mercure et d’arsenic.
En quoi consiste un barrage minier ?
Les barrages miniers sont utilisés pour stocker l’eau et les déchets qui subsistent comme sous-produits du processus d’extraction. On estime qu’il existe au moins 3.500 barrages miniers dans le monde. Mais comme on compte environ 30.000 mines industrielles, le nombre de barrages miniers est probablement bien plus élevé.
Les barrages miniers peuvent avoir des tailles énormes, grands comme des lacs et atteindre 300 mètres de haut. À mesure que les déchets en suspension sont pompés dans le réservoir, la partie solide se dépose au fond et l’eau est recyclée pour l’utiliser à nouveau dans le processus de séparation.
Plutôt que du béton renforcé, les barrages miniers sont constitués de terres ou de roche qui forment une retenue. Cependant, la plupart des barrages miniers ont recours à la méthode la moins chère mais la plus dangereuse de construction par l’utilisation des résidus eux-mêmes pour constituer une retenue. La digue est alors continuellement élevée pour retenir davantage de déchets. Ces barrages sont plus instables et plus susceptibles de présenter des fuites.
Les barrages miniers nécessitent un entretien et un contrôle réguliers pour assurer qu’il y ait suffisamment de drainage et que la retenue soit suffisamment solide pour contenir les résidus miniers.
Les barrages miniers peuvent être un danger pour la faune sauvage locale sachant que les oiseaux et d’autres animaux se baignent dans ces eaux contaminées et la boivent. Des fuites de substances toxiques au départ de barrages miniers peuvent également provoquer des dommages à l’environnement immédiat.
Quelles sont les conséquences d’une rupture ?
Au cours des dix dernières années, il y a eu 31 ruptures majeures de barrages miniers enregistrées entre 2008 et 2018, qui ne comprennent pas l’accident dévastateur qu’est celui de la compagnie Vale à Brumadinho, au Brésil, le 29 janvier 2019, qui a laissé 300 personnes mortes ou présumées telles.
Au Canada, la rupture du barrage de la mine d’or de Mount Polley en 2014 a libéré 25 millions de mètres cube d’eau usées et de résidus dans les cours d’eau et lacs environnants. C’est suffisant pour emplir 20.000 piscines olympiques.
Un an plus tôt, le propriétaire de la mine, Imperial Metals, avait indiqué que le barrage contenait 84.831 kilos d’arsenic, 38.218 kilos de plomb et 562 kilos de mercure ainsi que d’autres minerais et déchets.
En 2015, la rupture du barrage de Samarco au Brésil a libéré dans l’environnement 33 millions de mètres cube contenant des déchets de minerai de fer en suspension, tuant 19 personnes, provoquant le déplacement de 600 familles et contaminant les cours d’eau sur 620 km en aval avant d’atteindre l’océan. On craint que de précieux écosystèmes et des espèces de poissons dont dépendent des communautés indigènes ne s’en remettent jamais.
Il existe aussi de graves préoccupations quant à la sûreté de barrages dont l’exploitation a été arrêtée mais qui représentent encore une menace considérable pour la vie et l’environnement en cas de rupture.
Les barrages miniers sont-ils nécessaires ?
Les lieux de stockage traditionnels comme ceux impliqués dans les catastrophes de Brumadinho et Samarco sont utilisés par l’industrie minière simplement parce qu’ils sont bon marché. De nouvelles technologies sont disponibles qui réduiraient de manière substantielle le risque ou atténueraient les conséquences d’une rupture de barrage, comme des processus de filtrage des résidus, qui réduisent la quantité d’eau et améliorent la stabilité. La mise au rebut des résidus sous forme sèche est une alternative qui offre des bénéfices significatifs en termes de durabilité environnementale ainsi que s’agissant de la sécurité des travailleurs et des communautés riveraines.
Que peut-on faire pour améliorer la sécurité des barrages miniers ?
Les ruptures de barrages miniers ne sont pas inévitables et peuvent être prévenues. Les compagnies minières doivent écouter les travailleurs et leurs syndicats, qui sont fréquemment les premiers à tirer le signal d’alarme sur les questions de sécurité mais sont trop souvent ignorés. IndustriALL Global Union a travaillé avec l’IRMA, Initiative for Responsible Mining Assurance (Initiative pour l’assurance d’une extraction minière responsable) pour fixer des normes de sécurité plus élevées pour les barrages miniers en compagnie du Conseil international des mines et métaux qui a élaboré des principes directeurs pour la prévention des ruptures catastrophiques d’unités de stockage de résidus miniers. L’industrie minière doit urgemment adopter ces normes pour prévenir de nouvelles catastrophes.