21 mai, 2019La Constitution de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), adoptée au lendemain de la première guerre mondiale dans l’idée qu’il ne pouvait y avoir de paix durable dans le monde sans justice sociale, a été décrite comme le plus ambitieux contrat social jamais rédigé. Cette année 2019 marquera le centenaire de la Constitution de l’OIT et pour pointer cet événement, l’OIT a publié le 22 janvier dernier le rapport de sa Commission mondiale sur l’avenir du travail intitulé “Travailler pour bâtir un avenir meilleur”.
ILO Report
Ce rapport de l’OIT appelle à une nouvelle approche qui place les personnes et le travail qu’elles effectuent au centre des politiques publiques et des pratiques du monde des affaires. Il exige la reconnaissance des droits à l’égalité et à la protection sociale. Il appelle à une Garantie universelle pour les travailleurs qui offre travail décent, salaire vital et lieu de travail sûr et sain. Il appelle à davantage d’investissement dans la personne et à une revitalisation de la représentation collective.
C’est une impressionnante esquisse visionnaire d’une nouvelle charte sociale. Il n’est dès lors pas surprenant que l’Organisation internationale des employeurs soit déjà en train d’essayer de s’en distancier.
IndustriALL Global Union a poursuivi depuis de nombreuses années les objectifs décrits dans ce rapport de l’OIT. Ils font partie de nos cinq objectifs stratégiques et sont débattus, entre autres, au sein des documents d’IndustriALL portant sur une politique industrielle durable, sur la Transition juste et sur Industrie 4.0.
Si la durabilité doit permettre de rencontrer les besoins sociaux, environnementaux et économiques d’aujourd’hui sans compromettre pour les générations futures la possibilité de rencontrer les leurs, alors le monde n’est pas à la hauteur de ses ambitions.
Social :
le monde glisse vers toujours davantage d’inégalités économiques. Selon Oxfam, 26 individus aisés contrôlent autant de richesses que les 3,8 milliards de personnes qui composent la moitié la plus pauvre de l’humanité. Les normes sociales réclament que la richesse soit distribuée au sein de la société premièrement par le biais de l’emploi. Cependant, en dépit d’une productivité du travail en hausse et de robustes créations de richesse, des emplois ne sont pas créés, les conditions sociales ne s’améliorent pas et les salaires industriels stagnent. Cette situation crée un mélange de désespoir et de colère, les gens se sentant floués. Des fléaux sociaux, comme des vagues de toxicomanie et des fléaux politiques, comme la montée des démagogies populistes, en sont le résultat.
Environnement :
l’environnement naturel est en crise, avec l’accélération du changement climatique (accompagné de l’acidification des océans, de graves événements climatiques, de feux de forêts et de raz-de-marée), le déclin catastrophique de la biodiversité, la contamination de la terre, de l’air et de l’eau, la déforestation et la baisse de l’eau potable à disposition de populations en croissance. Dans le même temps, nos modes de vie consuméristes se sont révélés résistants à l’idée même de changement.
Économie :
de nombreux produits, biens et ressources sont déjà exploités grâce à un ensemble de nouvelles technologies perturbantes comme une numérisation avancée, les mégadonnées (big data) et l’intelligence artificielle, une robotique de nouvelle génération, l’internet des objets, l’impression 3-D, ainsi que la biotechnologie et les nanotechnologies. Ensuite, viennent les nouvelles plateformes de travail : Uber, Clickwork, Amazon Mechanical Turk, Deliveroo et une série d’autre formes de travail digital ou de “crowd-working” qui veulent rendre les travailleurs et travailleuses plus précaires et désarmés et donc meilleur marché. Cette tendance va se poursuivre, aucune région ou secteur industriel n’étant à l’abri. S’agissant de l’environnement naturel, les économistes conventionnels persistent à dire qu’il peut y avoir une croissance économique infinie en dépit du fait que la planète sur laquelle nous vivons est un système fini.
Construire un futur socialement, environnementalement et économiquement durable implique de repenser certaines des règles fondamentales de la société, y compris ce que la société attend des entreprises. De nombreux experts en matière de politiques gouvernementales ont adopté une position selon laquelle la société ne devrait pas adopter de dispositions qui empêchent le développement des nouveaux modèles d’entreprise. Cette réflexion ne tient pas compte des raisons pour lesquelles la société permet à quelque modèle d’entreprise que ce soit de se développer, voire d’exister (par le biais de l’acte constitutif que les autorités lui accorde). D’un point de vue théorique, la société le fait parce qu’elle estime qu’il y aura un bénéfice pour elle au sens large et ce bénéfice a toujours été que des emplois soient créés. Pas seulement quelques emplois de bas étage, mais des postes en quantité et qualité suffisantes pour permettre un partage raisonnable de la richesse créée et accumulée via l’activité. La richesse d’une poignée d’individus n’est pas un objectif public légitime. Les politiques justifient tout changement de réglementation des sociétés ou de la fiscalité en termes de création d’emploi et le milieu des affaires utilise l’argument de l’emploi à chaque fois qu’il fait pression pour ou contre une réglementation.
Si de nouvelles technologies ou plateformes ne créent pas du travail décent en proportion raisonnable par rapport au capital que ses propriétaires contrôlent et accumulent, pourquoi dès lors la société permettrait-elle à ces modèles d’entreprise de croître ? Qui en bénéficie et qui en paie le prix ?
Les politiques publiques ainsi que le cadre législatif et réglementaire qui en découlent devraient être élaborés dans le sens de l’intérêt général. Les entreprises devraient servir l’intérêt général. Les grands défis, comme Industrie 4.0 ou le travail via les plateformes, ou encore le changement climatique, sont souvent présentés comme si la société était forcément désarmée face aux intérêts des entreprises. Pourtant, au bout du compte, celles-ic sont issues de la société et doivent en conséquence être soumises au contrôle de la société.
Le contrôle des richesses donne aux entreprises, ainsi qu’aux individus qui les possèdent, un pouvoir immense. Les gouvernements eux-mêmes craignent ce pouvoir. La vérité est qu’il n’existe pas de pouvoir au sein de la société capable de défier ni même de contrebalancer la puissance des entreprises en dehors du mouvement syndical. Cette vérité a conduit IndustriALL Global Union à positionner les politiques industrielles durables en tant qu’objectifs stratégiques principaux, parce que nous avons besoin de solutions à long terme à certaines des problématiques évoquées ci-avant. À côté d’une politique industrielle durable, nous posons la revendication d’une Transition juste pour tous les travailleurs et travailleuses affectés par des changements qui sont hors de leur contrôle. Le principe qui sous-tend une Transition juste est que les bénéfices et coûts de la transformation des industries qui est en cours doivent être partagés équitablement.
Ce ne sont pas les technologies elles-mêmes qui sont le problème, c’est la logique derrière leur introduction. Alors que le capital utilise la technologie pour réorganiser les processus, réduire les normes du travail et diminuer les coûts, les syndicat doivent réagir. Si nous arrivons à guider la mise en œuvre de ces nouvelles technologies, nous pourrons créer de l’emploi de qualité avec une réduction du temps de travail et améliorer la santé et la sécurité professionnelles. Si nous échouons dans cette tâche, c’est une sorte de féodalisme high-tech qui pourrait émerger. Quoi qu’il en soit, cette tâche nous incombe : personne d’autre et aucun autre type d’organisation ne va mener ce combat à notre place.
Pour les syndicats, cela signifie comprendre l’avenir du travail et la façon dont il va nous affecter. Cela signifie prendre en compte les conséquences des traités climatiques et les Objectifs du développement durable des Nations Unies, ainsi que se tenir à niveau en matière de technologies émergentes. Cela signifie savoir comment utiliser des instruments tels que les Principes directeurs de l’OCDE à destination des entreprises multinationales ainsi que les Principes directeurs de l’ONU relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme. Cela signifie tenir les gouvernements responsables des politiques, législations et réglementations sur lesquelles ils légifèrent et qu’ils mettent en œuvre. Cela signifie exiger que les politiques publiques aillent dans le sens de l’intérêt public. Cela signifie prêter davantage attention aux institutions internationales parmi lesquelles, et même en particulier, les fédérations syndicales internationales. Cela signifie être actif au plan politique.
Cependant, cela signifie également que nous, syndicalistes, devons balayer devant notre propre porte et réfléchir aux changements que nous devons nous-mêmes accomplir. À quoi doit ressembler le “syndicat 4.0” ?
Manifestement, il est futile d’essayer de négocier avec un robot ou un algorithme. Les syndicats doivent plutôt se concentrer sur les propriétaires de ces technologies et en organiser syndicalement les travailleurs, qui et où qu’ils soient. Organiser syndicalement ces travailleurs va demander de nouvelles approches, car nombre de ceux-ci sont employés par des multinationales dont les tâches peuvent être exécutées n’importe où, y compris dans plusieurs pays à la fois. Il se peut qu’ils ne sachent même pas qui les paie. Construire la solidarité par-delà les frontières va être critique ;
les fédérations syndicales internationales telles qu’IndustriALL sont indispensables, maintenant plus que jamais.
Nous devrons utiliser nos outils éprouvés en matière d’actions syndicales. Déjà des perturbations syndicales ont eu lieu au sein des nouvelles plateformes de travail à la tâche. Nous devons également essayer de nouvelles approches. Quels sont les besoins, les désirs, les espoirs et les rêves des travailleurs et travailleuses d’aujourd’hui ? Comment les syndicats peuvent-ils les satisfaire ? Nous devons être plus attractifs pour les femmes, les jeunes et autres groupes en quête d’égalité. Nous devons penser en termes de cols blancs, puisque les changements technologiques conduisent à une généralisation des cols blancs dans de nombreux secteurs industriels. Nous devons penser à des questions comme la collecte des données, la vie privée, les contrats d’emploi, l’énergie durable et d’autres encore.
Aucun secteur, aucune région ne seront épargnés par les perturbations profondes résultant de ce qu’il est convenu d’appeler Industrie 4.0. Quoi qu’il en soit, ces changements ne s’arrêteront pas, ils doivent par contre être gérés.
Si la mondialisation de la production, de la finance et du mouvement des données est encouragée, pourquoi ne pourrions-nous pas mondialiser les normes salariales ? Personne ne remet en cause qu’il puisse y avoir un cours mondial du pétrole. Si une telle valorisation au plan mondial existe pour le pétrole, pourquoi ne pourrait-il pas y avoir de valorisation au plan mondial de la force de travail ?
Qu’en est-il du consentement et de la vie privée ?
Le consentement informé pour la collecte des données ainsi que l’exigence de contrats équitables ne rendent pas vraiment compte du déséquilibre des pouvoirs. Refuser son consentement ou demander qu’un paragraphe dans un contrat de travail soit supprimé est possible en théorie, mais alors, le travailleur n’aura tout simplement pas de travail.
Pouvons-nous redéfinir les syndicats comme des porte-paroles en matière d’impartialité, de justice et d’équité et pas seulement sur le lieu de travail, mais de manière générale ? Les deux qualificatifs que nous devons faire en sorte que les gens associent à syndicat sont pertinent et crédible. Si nous pouvons faire admettre que les syndicats au plan mondial sont pertinents et crédibles, nous parviendrons à nos fins. Nous devons prendre intelligemment ces problématiques