5 novembre, 2019Lorsque Munashe Chirowamari a quitté son domicile le 11 octobre 2018 pour participer avec des collègues syndicalistes à une manifestation organisée par le Congrès des syndicats du Zimbabwe (Zimbabwe Congress of Trade Unions, ZCTU) contre la dégradation de la situation économique qui ne cesse de s’aggraver dans le pays, il était loin d’imaginer que l’État ne reconnaîtrait pas son droit de manifester.
Il raconte son calvaire à Equal Times : « Nous étions au balcon des bureaux du ZCTU lorsque nous avons vu la police commencer à malmener le président de notre syndicat, Peter Mutasa. J’ai pensé que ce serait une bonne idée pour nous tous de nous asseoir ou de suivre le président jusqu’au véhicule de police. Un des officiers de police m’a alors tiré vers l’extérieur et a commencé à m’asséner des coups de bâton sur tout le corps. »
« Il m’a ensuite poussé dans le véhicule de police avec le président et d’autres personnes. Ils nous ont frappés tout au long du trajet, jusqu’au bureau de police, où nous avons passé la nuit avant de comparaître le lendemain devant le tribunal. »
Munashe Chirowamari et six autres personnes arrêtées ce jour-là ont été accusés de promouvoir l’intolérance (terme ou agissement pouvant être considéré comme une atteinte à l’ordre public), bien que ces accusations aient été abandonnées par la suite.
Pas plus tard que le mois dernier, le président faisant fonction de l’association des médecins des hôpitaux du Zimbabwe (Zimbabwe Hospital Doctors Association), le docteur Peter Magombeyi, a fait la Une de la presse internationale après avoir été kidnappé à son domicile à Harare par de prétendus agents de la sécurité de l’État, pour avoir organisé une grève des médecins homologués par le gouvernement, en vue d’obtenir de meilleurs salaires.
Le docteur Peter Magombeyi a été retrouvé quatre jours plus tard, abandonné dans la brousse à 40 kilomètres à l’ouest de Harare. Probablement torturé et empoisonné par ses ravisseurs, il a reçu un traitement médical en Afrique du Sud.
Un climat de peur qui ne cesse de s’intensifier
L’histoire de Munashe Chirowamari et du docteur Peter Magombeyi est aussi celle de centaines d’autres syndicalistes, opposants politiques et défenseurs des droits humains, dont la liberté de réunion et d’association est systématiquement foulée aux pieds par le gouvernement de l’Union nationale africaine du Zimbabwe - Front patriotique (ZANU-PF), actuellement dirigé par le président Emmerson Mnangagwa.
Si le Zimbabwe a effectivement ratifié plusieurs dispositions internationales, dont les Conventions 98 et 87 de l’Organisation internationale du Travail portant respectivement sur le droit d’organisation et de négociation collective et sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, le pays accuse cependant un inquiétant retard dans leur mise en œuvre.
La répression des syndicalistes caractérise le paysage politique du pays depuis le début des années 1990 mais, depuis l’accession au pouvoir du président Emmerson Mnangagwa, à la mort du président Robert Mugabe en 2017, beaucoup affirment que le climat de terreur s’est intensifié.
Selon l’association des médecins du Zimbabwe pour les droits humains (Zimbabwe Association of Doctors for Human Rights), au moins 18 personnes ont été tuées lors de manifestations, depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau président.
Des centaines de syndicalistes et militants continuent, en outre, à faire l’objet de harcèlement, d’arrestations, de viols et d’enlèvements, pour s’être rassemblés pacifiquement en vue d’exprimer leur mécontentement de vivre dans un pays enregistrant le deuxième taux d’inflation le plus élevé au monde après le Venezuela (161,8 % selon le FMI, bien que certains économistes parlent d’un taux d’inflation de 570 %).
Le Zimbabwe est également un pays où les taux de chômage et le coût de la vie ne cessent d’exploser et où ceux qui travaillent gagnent rarement assez pour assurer leur subsistance, lorsqu’ils ont la chance d’être payés.
Les dirigeants du ZCTU – le président Peter Mutasa et le secrétaire général Japhet Moyo – sont actuellement poursuivis en justice pour « tentative de renversement d’un gouvernement élu constitutionnellement et incitation à la violence » après avoir organisé un arrêt de travail de six jours au mois de janvier 2019, pour protester contre l’inflation, l’augmentation du prix du carburant et la pénurie de denrées alimentaires de base.
Au cours de ces dernières semaines, Peter Mutasa, Japhet Moyo, ainsi que d’autres membres de la direction du ZCTU et leurs familles, ont été victimes de harcèlement et ont reçu des menaces de mort. Le tribunal a reporté l’affaire au 20 novembre.
Japhet Moyo et Peter Mutasa encourent une peine de 20 ans d’emprisonnement. Une vingtaine d’autres syndicalistes du village frontalier de Mutare, dans l’est du pays, font également l’objet de poursuites judiciaires après avoir participé à une manifestation.
Au mois de février dernier, Kwasi Adu Amankwah, secrétaire général de la CSI-Afrique, l’antenne régionale africaine de Confédération syndicale internationale (CSI), a été détenu durant plusieurs heures lors d’une visite au Zimbabwe organisée dans le cadre d’une mission de solidarité avec le ZCTU.
« Un environnement délétère »
Au mois de septembre, grâce en partie à la mobilisation du mouvement syndical international, le gouvernement du Zimbabwe a invité le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de réunion pacifique et d’association, Clément Nyaletsossi Voule, à évaluer la situation dans le pays – première visite de cet ordre au Zimbabwe d’un expert désigné par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies.
Au cours de cette mission de dix jours, Clément Nyaletsossi Voule a rencontré la direction du ZCTU, les dirigeants des partis d’opposition, les principaux représentants de la communauté et de la société civile, les chefs, l’équipe nationale des Nations unies, ainsi que plusieurs ministres du gouvernement (soulignons l’absence notable du ministre du Travail, Sekai Nzenza).
L’expert togolais des droits humains présentera son rapport à la réunion du Conseil des droits de l’homme au mois de juin 2020, mais a d’ores et déjà déclaré à la presse, au terme de sa mission :
« En raison de la situation économique que traverse actuellement le Zimbabwe, des grèves massives sont organisées régulièrement dans le pays. Toutefois, les réactions des autorités ne semblent conformes ni à la constitution du pays ni à leurs engagements internationaux.»
Le rapporteur spécial a déclaré avoir entendu des « témoignages extrêmement inquiétants faisant état d’un recours à la force excessif, disproportionné et meurtrier contre des manifestants, notamment au travers de l’utilisation de gaz lacrymogènes, de matraques et de tirs à balles réelles », soulignant que des dirigeants syndicaux avaient dénoncé le « climat délétère de crainte et de représailles permanentes » auquel sont confrontés les militants syndicaux.
Même si la loi de 2002 relative à la sécurité et l’ordre public – une mesure draconienne autorisant la police à museler les manifestations et autres mouvements de contestation – sera bientôt remplacée par une loi sur le maintien de l’ordre et de la paix, le rapporteur spécial des Nations unies souligne que cette dernière mesure ne garantit en rien la liberté d’association des citoyens, étant donné que cette dernière continue à « conférer aux représentants de l’ordre à la fois discrétion et pouvoir en termes de réglementation ».
Au cours de sa visite, le rapporteur spécial des Nations unies s’est rendu à Hwange, dans le nord-est du Zimbabwe, pour y rencontrer les épouses et les femmes proches des mineurs travaillant dans les mines de la ville, lesquels attendent depuis 2013 le paiement de la totalité de leurs salaires. Jusqu’à l’année dernière, les femmes ont occupé pacifiquement les installations minières pour protester contre le non-paiement des salaires correspondant à 4,6 millions de dollars US au nom de leurs époux, pères et frères dissuadés de faire la grève par crainte des licenciements.
La société minière a engagé une action devant la justice civile et pénale pour violation de la propriété, tandis que plusieurs des manifestantes ont reçu des menaces de mort. Le rapporteur spécial a déclaré que la situation à Hwange démontrait également « le rôle des acteurs non gouvernementaux dans l’instauration d’un climat de peur » au Zimbabwe.
Le gouvernement a plus que jamais besoin de nouveaux engagements
Le rapporteur spécial Clément Nyaletsossi Voule a également exprimé ses inquiétudes face à la lenteur de la mise en œuvre des réformes de la législation du travail, plus que nécessaires. Les syndicats du Zimbabwe demandent de toute urgence d’accorder aux travailleurs du secteur public les mêmes droits en matière de négociation collective et de grève que ceux accordés à leurs homologues du secteur privé.
Parmi d’autres mesures, les syndicats appellent également à mettre un terme à la précarisation du travail, au paiement tardif ou au non-paiement des salaires et à la pénalisation des représentants des travailleurs, et demandent l’octroi d’indemnités minimales en cas de licenciement.
Le rapporteur spécial a également demandé au gouvernement de créer un environnement propice au développement de la société civile, de protéger le droit de réunion des citoyens, ainsi que celui de s’affilier à des syndicats, et de lever toutes les charges retenues contre les syndicalistes.
Japhet Moyo a cependant confié à Equal Times qu’il doutait fort que le ZANU-PF soit disposé à apporter les changements radicaux nécessaires pour améliorer la situation de la population zimbabwéenne :
« Nous ne parvenons toujours pas à croire que le gouvernement puisse être honnête dans ses relations avec les Nations unies. Le Zimbabwe a plus que jamais besoin de nouveaux engagements économiques internationaux, mais le gouvernement ne manifeste aucune volonté d’introduire des réformes. Ce gouvernement n’a pas besoin des conseils du rapporteur spécial pour introduire des réformes, il lui faut la volonté politique de faire les choses différemment. »
Le président Emmerson Mnangagwa a tenté de renouer les liens avec les États-Unis et l’Union européenne à son arrivée au pouvoir en 2017, et bien que son mantra « nous sommes ouverts aux relations commerciales » ait eu pour objectif d’attirer les capitaux étrangers, la plupart des investisseurs ont jugé prudent de s’abstenir.
D’autre part, le gouvernement se trouve dans l’impossibilité d’emprunter de l’argent auprès des prêteurs internationaux, en raison d’une dette extérieure colossale de 9 milliards de dollars US.
À la suite de la recommandation du rapporteur spécial d’abandonner les accusations retenues contre les dirigeants syndicaux, Japhet Moyo a indiqué que la Conférence internationale du Travail avait fait une demande similaire en juin, mais que, pour toute réponse, les syndicats n’avaient constaté qu’une recrudescence de la violence et des menaces proférées contre leurs familles.
« Le gouvernement ne protège pas ses citoyens et se veut complice d’individus peu scrupuleux qui s’en prennent délibérément aux personnes soupçonnées de s’opposer aux politiques du gouvernement »,
a déclaré Japhet Moyo.
Cet article a été publié par Equal Times