20 novembre, 2019De l’usine au parlement
Syndicat: | Syndicat sud-africain du vêtement et du textile (SACTWU) |
Pays: | Afrique du Sud |
Texte: | Elijah Chiwota |
Après 41 ans de carrière comme opératrice d’échantillonnage, Beauty Zibula a été élue Députée du Parlement pour la Province de KwaZulu Natal en Afrique du Sud, lors des élections législatives de mai 2019. Cette élection a mis fin à une carrière de quatre décennies en tant que déléguée syndicale, qui lui auront vu assumer de nombreux postes de responsabilité au sein de son organisation syndicale, le SACTWU (Syndicat sud-africain du vêtement et du textile).
Au moment des élections, elle était la seconde Président adjointe du SACTWU, qui compte plus de 108.000 membres dans les secteurs du textile, de la confection et du cuir. Zibula était encore adolescente lorsqu’elle a eu en 1978 son premier emploi dans une usine de confection de Durban, en Afrique du Sud.
Comment était-ce d’être syndicaliste sous le régime d’apartheid en Afrique du Sud ?
“J’ai eu mon premier emploi chez IM Lockhat au plus fort de la lutte contre l’apartheid. C’était une période difficile pour les citoyens, travailleurs et syndicats sud-africains. En tant que militants pour la démocratie, nous étions toujours surveillés par la tristement célèbre section spéciale de la police du régime répressif d’apartheid. J’ai été arrêtée et mise en détention à de nombreuses reprises et je n’étais pas que syndicaliste puisque je faisais également campagne pour l’ANC, le Congrès national africain, qui était à l’époque une organisation interdite. Certains ont été emprisonnés et d’autres tués. Nelson Mandela et nos dirigeants du KwaZulu Natal, Dullah Omar et Harry Gwala, étaient en prison à Robben Island.
“C’est dans ces conditions tendues que j’ai commencé à recruter des travailleurs et travailleuses, qui étaient peu enclins à rejoindre un syndicat. De plus, les employeurs les dissuadaient de rejoindre un syndicat. Les salaires connaissaient une ségrégation raciale, les travailleurs et travailleuses noirs africains gagnant moins que les blancs, les Indiens et les autres personnes de couleur1. Les syndicalistes étaient toujours sujets à beaucoup de suspicion de la part des employeurs. Mais mon responsable syndical m’avait expliqué qu’une de mes tâches importantes était d’unifier les travailleurs de l’usine. Et je suis parvenue à amener nombre de travailleurs et travailleuses d’origine indienne et africaine dans le giron du syndicat.”
Décrivez-nous vos 20 années d’expérience chez Prestige Apparel. Comment définiriez-vous les principaux défis après la percée démocratique de 1994 ?
“L’ANC et les autres mouvements de libération ont cessé d’être interdits. Mandela et les autres leaders de l’ANC avaient été libérés de Robben Island dans les années 1990 et il flottait dans l’air un parfum de liberté. Il y a eu la percée démocratique de 1994 et l’ANC a remporté les premières élections démocratiques. J’étais exaltée. Nous avions enfin la liberté après des années de lutte. Ensuite, la nouvelle Constitution a garanti les droits des travailleurs, ceux-ci, dont le droit de grève, sont devenus des droits constitutionnels.
“Je suis passée chez Prestige Apparel et j’étais toujours employée comme opératrice d’échantillonnage, mais cette entreprise était différente. Les machines étaient nouvelles et meilleures. L’entreprise s’efforçait réellement de s’adapter aux nouvelles technologies, contrairement à IM Lockhat où nous avions l’habitude de vielles machines.
“En tant que syndicats, nous avons commencé à faire campagne pour la Loi sur les relations sociales et lorsqu’elle a été adoptée, ce fut une victoire pour les travailleurs. Les bénéfices de cette législation se font encore sentir aujourd’hui. Elle donne aux syndicats le droit de recruter, promeut la négociation collective et permet la résolution des conflits de travail par la conciliation, la médiation, l’arbitrage et les tribunaux du travail. Cette législation offre aussi une procédure d’enregistrement des syndicats simplifiée.
“Une autre victoire a été le congé de maternité, tel qu’on le retrouve dans la Loi sur les conditions d’emploi fondamentales. Nous nous sommes battus ardemment en tant que syndicats pour que cela arrive et c’était une douce victoire pour les femmes d’obtenir des allocations de maternité.”
Pouvez-vous décrire votre ascension depuis la base syndicale en tant que déléguée d’usine jusqu’au poste de seconde Présidente adjointe ?
“Être déléguée syndicale est un travail acharné qui nécessite du dévouement. En tant que leader syndicale, il y a beaucoup à apprendre tout au long des réunions où vous représentez les travailleurs auprès des employeurs et lorsque vous siégez dans un cadre formel de négociation pour obtenir une convention collective. Lorsque vous réussissez dans vos fonctions syndicales, c’est rarement seul, vous œuvrez avec d’autres dans un collectif. Au SACTWU, nous travaillions collectivement et participions aux activités de notre centrale, le COSATU, Congrès des syndicats sud-africains.
“J’ai beaucoup appris en tant que Présidente régionale du COSATU parce que je collaborais avec des syndicats qui recrutent dans d’autre secteurs, me donnant l’occasion d’apprendre et de comprendre ce que ces syndicats font.
“J’ai aussi acquis une expérience précieuse en siégeant au sein du Conseil national de négociation pour l’industrie du vêtement, un organe important dans le secteur de la confection en Afrique du Sud où nous avons négocié de meilleurs salaires et conditions de travail pour les salariés.”
Quelles sont vos réflexions sur la violence fondée sur le genre et les féminicides en Afrique du Sud ?
“L’importance de la violence fondée sur le genre et les féminicides en Afrique du Sud est interpellante. Des travailleuses sont violées et tuées à leur domicile, sur leurs lieux de travail et dans les mines. Sur les lieux de travail, des femmes sont violées par leurs collègues masculins. Des femmes sont également tuées par leurs conjoints ou leurs ex-petits amis. Des enfants sont violés et tués. C’est inacceptable et on ne peut tolérer que cela perdure. Dès lors, en tant que parlementaires, nous soutenons le plan en cinq points du Président Cyril Ramaphosa contre la violence fondée sur le genre et les féminicides. Ce plan comprend de la prévention, un renforcement du système pénal, une amélioration du cadre juridique et politique, la mise en place d’une prise en charge, d’un soutien et de soins adéquats pour les victimes ainsi que l’émancipation économique des femmes.
“En tant que parlementaire, je porte cette campagne au sein de ma circonscription et je me rends au sein des communautés pour les sensibiliser, comprendre pourquoi les choses se passent comme tel et comment arrêter tout ça. Nous menons cette campagne ensemble avec différents cabinets ministériels.
“J’ai aussi été impliquée dans des discussions qui se sont tenues au sein des structures du COSATU pour traiter de la violence fondée sur le genre, le harcèlement sexuel et le féminicide.
“Au niveau du SACTWU, nous sommes impliqués dans cette campagne depuis déjà un certain temps et par le biais d’IndustriALL Global Union nous avons fait campagne pour la signature de l’Engagement d’IndustriALL et avons pris part aux récentes marches contre la violence fondée sur le genre et le féminicide au Cap.”
Comment évaluez-vous l’utilité de votre expérience syndicale au niveau de l’Assemblée nationale ?
“Je n’ai pas fait tout ce chemin seule. Je l’ai parcouru avec d’autres. Et je voudrais saisir cette opportunité pour remercier IndustriALL et toutes les camarades aux côtés de qui j’ai travaillé au sein du comité régional des femmes. Le syndicat va me manquer, mais je conserve dans mon cœur la précieuse expérience que j’y ai acquise.
“Après mes études à l’Université du Travail de Durban et mon expérience dans le syndicat, j’ai appris à apprécier le rôle des syndicats en tant qu’organisations au sein desquelles vous apprenez.”
Pour construire une Afrique du Sud meilleure, nous avons besoin de syndicats forts et ceux-ci doivent être impliqués dans des luttes sociales.
“À nouveau, en vertu de mon expérience, je peux conclure que les syndicats ont acquis beaucoup de choses de par leur lutte contre l’apartheid, en apprenant à mobiliser et ensuite, dans la période post-apartheid, où ils se sont battus en faveur des droits et avantages des travailleurs, dont les salaires minima et vitaux.
“En tant que partie constituante de la classe ouvrière, le syndicat tire sa puissance de ses effectifs, de son rôle social et de ses luttes pour la justice sociale. Ses campagnes pour mettre un terme à la triple crise de la pauvreté, des inégalités et du chômage en sont un exemple. Le syndicat doit dès lors continuer à combattre l’exploitation et l’oppression des travailleurs et travailleuses et pour la justice sociale. Il doit aussi continuer à bâtir une solidarité nationale et mondiale. Le syndicat doit continuer à soutenir le pouvoir du travail contre celui du capital dans son combat en faveur des travailleurs et travailleuses.
“Les syndicats doivent continuer à lutter pour la société telle que nous la souhaitons, fondée sur la liberté et l’égalité au sein des communautés où nous vivons et sur nos lieux de travail.
“C’est ce qui va inspirer mon travail de parlementaire. Les valeurs pour lesquelles nous luttons dans les syndicats sont aussi celles en faveur desquelles nous devons nous battre au parlement, car nous sommes au service de la même vision sociétale, mais dans des capacités différentes. C’est comme porter une autre casquette de dirigeant.
“En tant que syndicalistes aussi bien que mandataires politiques au passé syndical, nous voulons tous un monde meilleur et nous impliquer dans la transformation de la société. Notre engagement est de mettre fin à la triple crise de la pauvreté, du chômage et de l’inégalité.”