15 janvier, 2017EN FINIR AVEC UN CONFLIT DANS UNE SOCIETE POLARISEE : LES SYNDICATS DE COLOMBIE MOBILISENT POUR LA PAIXAprès cinq décennies de guerre civile, un traité de paix a été rejeté par une majorité de la population dans ce pays profondément divisé. Les syndicats de Colombie sont déterminés à aider à la construction d’une paix juste, en œuvrant avec la société civile à obtenir un règlement qui puisse marquer le début de la guérison des profondes blessures.
ENQUETE
Pays: Colombia
Texte: Walton Pantland
Photos: IndustriALL
Pour mettre fin au conflit entre le gouvernement, les paramilitaires de droite et le groupe principal de la guérilla, les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC), le gouvernement du Président Juan Manuel Santos a débuté la négociation d’un accord de paix avec les leaders des FARC en 2012.
Lors d’une cérémonie en présence du Secrétaire général de l’ONU, Ban Ki-moon, du Secrétaire d’État américain John Kerry et d’une douzaine de leaders latino-américains, le Président Santos et le leader des FARC Timoleón “Timochenko” Jimenez ont signé un accord de paix en septembre 2016. M. Santos a reçu le Prix Nobel de la Paix pour avoir obtenu ce que l’on espérait être une paix durable.
Pendant des négociations, l’ex-président Alvaro Uribe, responsable d’années de violence en Colombie, a fait campagne contre l’accord de paix. Le Président Santos a soumis celui-ci à l’approbation de l’électorat lors d’un referendum en octobre. Les sondages indiquaient qu’une confortable majorité l’approuverait, mais le résultat en a été, chose atterrante, un rejet par 50,2% des votants, pour une faible participation d’à peine 37,4%.
Malgré le rejet par les électeurs de l’accord de paix, à la fois le gouvernement colombien et les FARC ont annoncé que la guerre ne reprendrait pas. Un traité de paix révisé a été négocié et un nouvel accord a été publié, qui sera soumis au vote du Congrès.
Les racines du conflit plongent dans le développement de l’agrobusiness en Colombie, lorsque les fermiers ont été forcés à quitter des terres qui assuraient leur subsistance pour faire place nette aux compagnies privées. Mises sur pied en 1964, en réponse à une vague de violences politiques après l’assassinat du président libéral Jorge Eliécer Gaitán (le Bogotazo) et après des attaques du gouvernement colombien sur des villages, les FARC avaient pour objectif à l’origine le recours à une courte et incisive campagne de guérilla pour mettre le feu aux poudres d’une insurrection et d’une révolution générales.
Le conflit a dégénéré en une brutale guerre d’usure pendant un demi siècle, connaissant un point culminant sous la présidence de César Gaviria Trujillo, de 1990-1994, avec la création de groupes paramilitaires. Les Années de Terreur, sous l’administration Uribe en 2002 – 2010, ont été une période violente pour les communautés rurales, les syndicalistes, les militants sociaux et la guérilla. Avec le soutien de la CIA, Uribe a recruté des escadrons de la mort, pour former les paramilitaires, l’armée et des groupes d’auto-défense, qui ont été responsables de la mort de milliers de personnes.
Les FARC ont répondu avec des enlèvements, des demandes de rançon et du trafic de drogue, faisant payer un lourd tribut aux communautés civiles et rurales. Une partie de la violence la plus grave a eu lieu au sein des secteurs économiques stratégiques et des régions où IndustriALL compte des affiliés, comme le pétrole, les mines et les industries extractives. Les syndicats colombiens misent beaucoup sur les accords de paix et la reconstruction de la société.
DES SYNDICATS CONSTRUISANT LA PAIX
Le mouvement syndical en Colombie lutte avec acharnement pour construire une paix et une justice historique et réparatrice qui transforme la société.
Fabio Arias Giraldo de la centrale syndicale CUT (Central Unitaria de Trabajadores ), est convaincu que l’accord de paix a été rejeté en raison de la force de la droite et de l’extrême polarisation de la Colombie :
“La polarisation politique en Colombie est très forte et le vote est le résultat de celle-ci. Les forces les plus réactionnaires du pays sont toujours bien présentes dans différents secteurs de la société et, malheureusement, en voilà le résultat.
“Nous pensions impossible que ceci puisse arriver, mais cela a été le cas. Cela correspond à un glissement à droite qui a commencé avec Uribe. Il y a 13 ans de cela, il a entamé une polarisation du pays qui avait trait au problème de la violence politique, qui a marqué beaucoup de gens et fait trop de victimes. Il y a une réaction contre ça.”
Giraldo soutient que le faible taux de participation et le manque d’enthousiasme pour l’accord tient au fait qu’aucune des deux parties n’est populaire dans l’électorat :
“Les deux parties qui ont signé l’accord ne sont pas trop bien perçues par la vaste majorité de la population. Il y a beaucoup d’opposition à la violence politique que les FARC ont généré, ainsi que beaucoup d’insatisfaction par rapport au gouvernement au vu de toutes ses mesures prises contre la société civile.
“Ces deux situations se sont donc combinées et, malheureusement, Uribe a tenu un discours trompeur. Il a souligné combien la violence avait été nuisible, ce qu’elle avait signifié pour les victimes et il y a ajouté un certain nombre de considérations religieuses. Cette combinaison est devenue très destructrice par rapport aux chances de pouvoir approuver ces accords de paix en Colombie et cela a signifié notre défaite.”
Cesar Loza Arenas, président de l’affilié d’IndustriALL Global Union, le syndicat du pétrole et du gaz USO, nous dit :
“Nous ne pouvons pas donner d’espace aux ennemis de la paix. La paix est un droit pour tous les Colombiens, comme il l’est pour les travailleurs. Nous soutenons la paix. Cela ne veut pas dire que nous sommes d’accord avec les politiques du gouvernement mais s’agissant de la paix, nous sommes tous unis.”
Giraldo ajoute :
“Le peuple colombien, et en particulier la jeunesse, n’abandonne pas. Il existe une large mobilisation sociale en Colombie. Nous avons maintenant réalisé, même ceux qui ont voté “non”, que nous avions fait une grave erreur et nous sommes descendus dans les rues.
“Donc maintenant, il ne se passe pas un jour sans une forte mobilisation dans les rues pour dire au gouvernement et aux tenants du “non” que nous ne pouvons pas rater cette occasion d’obtenir la paix.”
“Les mobilisations nationales, le soutien de la communauté internationale et le soutien que nous donnons de l’intérieur, nous le mouvement syndical, va nous aider à sortir de cette impasse et obtenir la paix, ce que la vaste majorité de ceux qui vivent en Colombie aujourd’hui n’ont jamais connu.”
Au cours du 2e Congrès d’IndustriALL en octobre, 1.500 délégués ont unanimement soutenu une résolution de solidarité pour regretter le résultat du référendum. Le Congrès a appelé le gouvernement colombien et les leaders des FARC à continuer leurs efforts en vue de négocier la paix et garantir le respect des libertés individuelles et collectives.
S’exprimant pour soutenir la résolution, Pablo Santos du syndicat de l’énergie affilié à IndustriALL SINTRAELECOL a dit :
“Nous appelons à une solution responsable pour obtenir la paix. Des millions de gens ont été déplacés et des milliers de gens, y compris des syndicalistes, ont été tués. Il est maintenant temps de faire preuve de solidarité.”
“Cette résolution montre que nous avons le soutien du mouvement syndical international, qui nous encourage, nous travailleurs de Colombie, à aller de l’avant. Nous ne sommes pas seuls dans ce combat,” a dit Loza Arenas.