Jump to main content
IndustriALL logotype

Le piège triangulaire

Read this article in:

14 juillet, 2013Les syndicats en action contre le travail intérimaire

Avant-propos

Le travail précaire sous toutes ses formes met en péril les droits des travailleurs, leurs salaires et leurs conditions de travail dans le monde entier. Mais les travailleurs piégés dans une relation d’emploi triangulaire, officiellement employés par une agence ou un sous-traitant, mais qui travaillent en réalité pour une autre entreprise, ont rarement la possibilité de se syndiquer et aucune chance de négocier collectivement leurs conditions d’emploi. En réalité, ils sont piégés entre l’agence et l’entreprise pour laquelle ils travaillent et ni l’une ni l’autre ne veut assumer la responsabilité de leurs droits humains fondamentaux.

Le travail intérimaire résulte d’une volonté délibérée de l’employeur de limiter ou réduire de manière durable son effectif permanent au nom de la “flexibilité”. Cela a pour effet de transférer les risques liés à l’emploi de l’entreprise sur le travailleur. Il est extrêmement difficile d’identifier l’employeur réel et ainsi déterminer à qui incombe la responsabilité de matières telles que les conditions de travail et les prestations.

Ce recours de plus en plus répandu au travail intérimaire prive les travailleurs de la couverture des conventions collectives et réduit l’unité de négociation dans des proportions telles que la capacité du syndicat à négocier s’en trouve sérieusement compromise, parfois de manière irréversible.

Ce rapport traite de la propagation massive, partout dans le monde, du travail intérimaire et d’autres formes de relation d’emploi triangulaire et de leur action de sape sur les normes internationales du travail. Il montre comment les agences d’emploi privées s’organisent à l’échelon mondial pour faire pression sur les gouvernements afin qu’il suppriment les entraves législatives à leur fonctionnement.

J’espère qu’il viendra en aide aux syndicats dans leurs tractations avec les employeurs et les gouvernements pour s’opposer à une poursuite de l’expansion des agences d’emploi et des violations des droits des travailleurs qui résultent de ces relations d’emploi triangulaires.

Jyrki Raina

Secrétaire général

IndustriALL appelle tous les gouvernements à :

  • Stopper l’expansion massive du travail intérimaire
  • Garantir aux travailleurs intérimaires l’accès à un emploi permanent et direct
  • Exiger des entreprises qu’elles négocient sur le recours au travail intérimaire
  • Instaurer une égalité de traitement totale entre travailleurs intérimaires et travailleurs en régime d’emploi direct
  • Faire en sorte que les travailleurs intérimaires jouissent effectivement de leurs droits en matière de liberté syndicale et de négociation collective, y compris le droit de s’affilier au même syndicat que les salariés directs et de faire partie de la même unité de négociation.
  • Protéger les travailleurs intérimaires contre le licenciement abusif.
  • Interdire les relations d’emploi déguisées qui dissimulent l’employeur réel

Qu'est-ce que le travail intérimaire ?

Dans ce rapport, l’expression travail intérimaire fait  référence à la mise à disposition d’une entreprise detravailleurs qui restent des salariés de l’agence tout en travaillant pour ladite entreprise. D’autres expressions sont utilisées pour décrire cette forme de travail, comme travail contractuel, détachement de travailleurs ou location de personnel. Les agences de travail temporaire sont également appelées courtiers en main-d’oeuvre, pourvoyeurs de main-d’oeuvre ou sous-traitants.

La caractéristique qui définit toutes ces formes d’emploi est qu’elles créent une relation triangulaire entre l’entreprise utilisatrice, l’agence et le travailleur, ce qui a pour effet d’isoler le travailleur de l’entreprise qui l’emploie effectivement et détermine sa rémunération et ses conditions de travail, de telle sorte que le travailleur n’a aucune influence sur celles-ci et aucun moyen de négocier des améliorations.

L’entreprise y trouve son avantage parce qu’elle transfère ainsi les risques liés à l’emploi sur le travailleur. Une enquête réalisée en août 2009 par le syndicat allemand IG Metall1 montre que le travail intérimaire est de plus en plus utilisé de manière plus stratégique par les entreprises comme moyen de se décharger du risque de son activité que constitue le coût de l’emploi de longue durée.

Il est important de faire la distinction entre les deux fonctions qu’ont les agences.

Lorsqu’une agence propose à un travailleur un poste vacant dans une entreprise, que cette entreprise l’engage et qu’il devient ainsi son salarié direct, le problème de la relation triangulaire ne se pose pas. Mais le thème de ce rapport est l’exploitation qui a lieu lorsqu’une agence fournit un travailleur à une entreprise et que ce travailleur est considéré comme un salarié de l’agence alors qu’il effectue un travail pour le compte de l’entreprise.

L’explosion du travail intérimaire

Le travail intérimaire a explosé dans des proportions qui dépassent son rôle légitime, qui est de remédier aux pénuries de main-d’oeuvre à court terme résultant par exemple de fluctuations du carnet de commandes ou d’absences de salariés. Comme l’indiquent des syndicats du monde entier, le travail intérimaire est utilisé pour remplacer des emplois permanents par des emplois intérimaires dans le but d’abaisser les coûts salariaux et d’échapper aux protections légales.

L’industrie du travail intérimaire a connu récemment un essor extrêmement rapide. D’après l’instance internationale du secteur, la Confédération internationale des entreprises de travail temporaire (Ciett), le chiffre des ventes annuelles mondiales de cette industrie est passé de 83 milliards € en 1996 à 203 milliards € en 2009 et le nombre des travailleurs intérimaires a plus que doublé sur la même période.

Nous comprenons bien qu’il faille une certaine main-d’oeuvre occasionnelle pour des raisons de flexibilité et pour absorber les phases de hausse et de baisse du cycle économique, mais si vous regardez les statistiques, que personne ne conteste - 40% des travailleurs connaissent actuellement l’une ou l’autre forme de travail précaire – vous ne pouvez pas me dire que c’est en réaction au cycle économique.

            - Ged Kearney, ACTU

Une étude de 2009 indique qu’au total, 10% de la population active du Mexique sont employés par des agences de travail temporaire. Près de 60% des 400.000 travailleurs employés dans l’industrie mexicaine de l’électronique travaillent pour des agences d’intérim, et certaines entreprises emploient jusqu’à 90% de leur personnel par l’intermédiaire d’agences.

En Russie, près de 75% des firmes étrangères et 35 à 50% des entreprises russes utilisent de la main-d’oeuvre intérimaire. Mais il existe de nombreuses agences non enregistrées, ce qui veut dire que les chiffres réels sont beaucoup plus élevés. Les agences de Russie déclaraient avoir engagé 70.000 travailleurs en 2010-2011 mais, en l’absence de statistiques officielles, il faut tabler sur au moins 70.000 à 100.000 de plus. En règle générale, on note une absence d’information fiable sur l’ampleur du travail intérimaire.

Au Royaume-Uni, le chiffre estimé des travailleurs intérimaires variait entre 270.000 et 1.400.000 en 2008. En République tchèque, les agences sont tenues de communiquer leurs chiffres une fois l’an au ministère sous peine d’amende, mais seul un tiers des agences le font. Cette obligation n’est pas respectée en partie parce que le ministère n’arrive pas à faire face au volume des données en raison du nombre élevé d’agences en activité dans le pays.

Il n’existe pas de chiffres précis quant au nombre total des travailleurs contractuels ou intérimaires en Inde, mais une étude récente indique que 30% de tous les travailleurs du secteur privé sont employés par le biais de sous-traitants, avec des taux qui peuvent atteindre 50% dans le secteur manufacturier.

Les statistiques disponibles pour l’Europe indiquent une croissance rapide du travail intérimaire, avec une prédominance d’acteurs mondiaux tels que Manpower, Adecco et Randstad. En Espagne, le travail temporaire constitue 30,9% de l’emploi total et le travail intérimaire représente une proportion de 1 sur 6 pour tous les contrats temporaires.

En Thaïlande, plus de la moitié des quelque 500.000 travailleurs de l’industrie de l’électronique sont des intérimaires. Aux Philippines, en 2008, 10,8% de tous les travailleurs étaient employés par l’intermédiaire d’agences, et la proportion passait à 15,6% dans l’industrie manufacturière, soit 46,6% de l’ensemble des travailleurs intérimaires. 64% des employeurs occupant plus de 20 travailleurs faisaient appel à des agences de travail temporaire (67,5% dans le secteur manufacturier). Tout cela en dépit d’importantes restrictions légales interdisant notamment les contrats ayant pour objet exclusif la fourniture de main-d’oeuvre et l’externalisation de travail qui retire des salariés directs de leur emploi ou réduit leur durée normale de travail.

La Chine n’échappe pas à la progression massive du travail intérimaire. On estime à 60 millions le nombre des travailleurs temporaires détachés en Chine, soit au total un cinquième des salariés des zones urbaines. Le chiffre a doublé depuis l’adoption, en 2008, d’une loi qui renforçait la protection des travailleurs en obligeant les entreprises à souscrire pour eux une assurance, payer double salaire pour les heures supplémentaires et leur verser des indemnités de licenciement calculées en fonction de leur ancienneté. Maintenant, les employeurs, y compris les multinationales installées en Chine, contournent ce renforcement de la protection en recourant au travail intérimaire malgré les dispositions de la loi sur le contrat de travail qui stipulent que ces catégories de personnel ne peuvent pourvoir que des postes temporaires ou d’appoint. Chez Nokia, 30% de la main-d’oeuvre chinoise est de la main-d’oeuvre contractuelle.

Les effets de la crise

Les travailleurs intérimaires sont les premiers licenciés lorsque les temps sont durs et ils furent les premières victimes de la crise économique de 2008. Entre la mi 2008 et la mi 2009, le nombre des travailleurs de l’Europe à 27 ayant un contrat temporaire a baissé de 6,3%, contre 1,3% pour les salariés permanents. Le nombre total d’heures prestées par les travailleurs intérimaires en 2009 a diminué de 25% aux Pays-Bas et de 50% en République tchèque. Les licenciements se sont faits pratiquement sur-le-champ, en l’absence de tout filet de protection ou plan social pour les travailleurs concernés. Ce sont ces licenciements rapides de travailleurs intérimaires qui auraient accéléré les pertes d’emplois causées par la crise.

Mais la confédération internationale Ciett y voit un avantage :

L’élément flexible de l’effectif d’une entreprise agit ainsi comme un tampon en temps de crise et atténue l’impact sur le personnel permanent.

Lorsque les premiers signes d’une reprise se sont fait jour, Manpower a exhorté les entreprises de France et des États-Unis à recourir à ses services plutôt que d’embaucher directement des salariés, au cas où la reprise ne serait que passagère. En Allemagne, en juin 2010, l’emploi temporaire représentait 53% de toutes les créations d’emplois.

Le rapport «Le travail dans le monde – 2012» de l’OIT confirme que : 

L’augmentation de l’emploi temporaire et à temps partiel subi a été plus importante que celles du chômage et de l’emploi permanent depuis la crise. Cela montre clairement que plus d’emploi précaire s’est créé pendant la crise.

À quoi ressemble le travail intérimaire ?

L’inégalité de traitement dont souffrent les travailleurs intérimaires a été largement démontrée et est vécue chaque jour par les travailleurs et leurs organisations syndicales.

En règle générale, le travailleur intérimaire perçoit, pour un même travail, un salaire moindre que celui du travailleur recruté directement. Il n’a pas droit à de nombreuses prestations et est confronté à des risques de santé et de sécurité plus élevés. L’inégalité de traitement dont souffrent les travailleurs intérimaires a été largement démontrée et est vécue chaque jour par les travailleurs et leurs organisations syndicales.

Les travailleurs intérimaires ou externalisés des secteurs de la chimie, l’énergie et la mine d’Inde perçoivent un salaire moyen de 4.000 à 6.000 roupies (72 à 108 $), tandis que leurs collègues permanents directs effectuant le même travail ont 15.000 à 20.000 roupies (270 à 360 $). Dans l’industrie de l’habillement, les travailleurs contractuels sont payés moins de la moitié des travailleurs permanents, et souvent moins que le salaire minimum légal.

Dans les sites d’exploitation de la multinationale suisse du ciment Holcim en Inde, 80% des travailleurs sont employés par l’intermédiaire de fournisseurs de maind’oeuvre.  Malgré les protections inscrites dans la législation indienne et une convention collective qui interdit le travail intérimaire dans les activités de production de base et impose de rémunérer tout travail au même taux, les travailleurs contractuels de Holcim ne perçoivent qu’un tiers du salaire des salariés directs et ne reçoivent pas d’équipement de protection adéquat.

D’après les syndicats, aux Philippines, les travailleurs intérimaires n’ont droit à aucune prestation médicale, à des indemnités pour accident du travail ou maladie professionnelle, à un congé maternel ou paternel, à des primes de transport ou de repas. Au terme de leur contrat, ils continuent comme intérimaires ou sont licenciés. Même lorsque des conventions collectives stipulent que les travailleurs intérimaires doivent recevoir les salaires et prestations en vigueur suivant les conventions nationales ou sectorielles, le fait qu’ils puissent être licenciés plus facilement et rapidement que les salariés permanents constitue une violation du principe d’égalité de traitement.

Chez Nokia en Chine, les travailleurs intérimaires reçoivent environ trois-quarts du salaire des employés directs effectuant le même travail; ils n’ont pas accès au dortoir de Nokia, ne peuvent pas s’affilier au syndicat officiel et sont régulièrement menacés de licenciement.

Un exemple explicite d’employeurs recourant au travail intérimaire pour réduire leurs coûts de main-d’oeuvre est celui de la création d’agences factices n’ayant qu’une seule entreprise pour client. Chez BMW à Leipzig, en Allemagne, en 2011, des travailleurs ont été transférés à une «société-fille» avec une perte de salaire de 40%. Pour éviter cette forme de relation d’emploi déguisée, en Belgique, la loi stipule que les agences de travail temporaire ne peuvent tirer plus de 30% de leur chiffre d’affaires d’une seule entreprise.

Il est de plus en plus démontré que les travailleurs intérimaires sont plus exposés aux risques de lésions. En Belgique, les travailleurs intérimaires avaient, en 2009, deux fois plus de risque d’accident que les travailleurs permanents. Le nombre des décès de travailleurs intérimaires occasionnés par le travail est scandaleusement élevé. Au Brésil, notre affilié FUP indique que 226 des 280 travailleurs de Petrobras décédés entre 1995 et 2009 étaient des travailleurs contractuels. Au Pérou, notre affilié FNTMMSP a vu 49 mineurs décéder au cours des 9 premiers mois de 2009; parmi eux, 37 avaient été engagés par des intermédiaires. Les statistiques du secteur de l’électricité brésilien montrent que 13 fois plus de travailleurs intérimaires que de travailleurs permanents sont décédés en 2009 dans des compagnies d’électricité brésiliennes.

Le problème vient en partie de ce que les relations triangulaires ne permettent pas de savoir exactement qui est responsable de la santé et la sécurité des travailleurs intérimaires. Très souvent, les agences n’ont rien prévu pour le paiement d’amendes ou l’indemnisation de travailleurs blessés et préfèrent simplement arrêter leurs activités pour se soustraire à leurs obligations.

Travailleurs statutaires 

Travailleurs intérimaires

116 travailleurs permanents

employés

directement par Lafarge

Près de 200 travailleurs employés

indirectement par l'intermédiaire

de 11 agences

Tous syndiqués 

Aucun syndiqué

Mêmes emplois – même lieu de travail 

Mêmes emplois – même lieu de travail

Instructions données par

des cadres de Lafarge 

Instructions données par

des cadres de Lafarge

Salaires de 500-750 $ par mois

(2008) 

Salaire de 270 $ par mois

(2008)

8 heures de travail par jour,

primes pour heures supplémentaires 

12 heures de travail par jour,

pas de primes

Quelques jours fériés,

dimanches fériés 

Pratiquement pas de jours fériés,

travail le dimanche

Pension,

assurance-maladie,

congé payé annuel,

absence pour maladie rémunérée,

primes

Pas de pension,

pas d'assurance-maladie,

pas de congé annuel,

pas de congés de maladie,

pas de primes

Équipement de sécurité fourni 

Doivent acheter leur propre

équipement de sécurité

Visite médicale annuelle 

Pas de contrôle médical

Cimenterie Lafarge de Kuantan, en Malaisie (2010)

 

Le lobby mondial des agences

Malgré ses conséquence négatives, le fait que le travail intérimaire gagne du terrain un peu partout dans le monde n’est pas dû au hasard, alors que ses entraves disparaissent. Cette progression s’appuie sur un lobbying intensif de l’industrie qui fait pression sur les gouvernements pour qu’ils suppriment les obstacles législatifs à son fonctionnement.

Par rapport à l’emploi total, la part du travail intérimaire reste modeste, mais les agences s’organisent à l’échelon mondial pour accroître leur part de marché.

La Confédération internationale des entreprises de travail temporaire (Ciett) a pour membres 48 fédérations nationales d’agences d’emploi privées, ainsi que certaines des plus grandes agences au monde, comme Manpower, Adecco, Kelly et Randstad. Elle ne donne aucune information quant à savoir quelles agences sont membres de ses fédérations nationales affiliées.

Parmi ses objectifs, la Ciett :

  • Aide ses membres à mener leurs activités dans un contexte légal et réglementaire positif et propice;
  • Assure la promotion de normes de qualité dans l’industrie de la dotation en personnel;
  • Améliore l’image de marque de l’industrie et renforce sa représentation, et
  • Apporte une contribution efficace à la bonne utilisation du potentiel économique du secteur du travail intérimaire.

La Ciett publie une série de publications étayant ces objectifs et qui donnent une idée des arguments que l’industrie utilise pour escamoter les conséquences négatives du travail intérimaire et en faire la promotion auprès des employeurs et des pouvoirs publics. Le tableau du secteur des agences d’emploi privées que la Ciett dépeint est très éloigné de la réalité que vivent des millions de travailleurs intérimaires dans le monde, de même que les syndicats qui s’efforcent d’améliorer leurs conditions de travail.

La Ciett fait reposer ses arguments sur des études partisanes sur des entreprises presque exclusivement implantées aux États-Unis et en Europe occidentale, ce qui ne l’empêche pas de généraliser ses prétentions pour englober l’ensemble du travail intérimaire à l’échelon planétaire. Voyons de quoi il s’agit.

Les agences mettent beaucoup en avant la croyance qu’un emploi temporaire offert par une agence est un tremplin vers un emploi permanent. Or, dans l’ensemble, ce n’est vrai que pour certains travailleurs très qualifiés.

           - Marcel Nuyten, Administrateur syndical Travailleurs temporaires, FNV Bondgenoten, Pays-Bas

Démonter les mythes de la Ciett

FICTION 1: Les agences créent des emplois sans les substituer à des emplois permanents

Il est aberrant de prétendre que les agences créent des emplois. L’investissement et l’économie créent des emplois, mais pas les agences. Beaucoup d’emplois prétendument créés par les agences seraient des emplois permanents si ces agences n’existaient pas.

Les exemples abondent d’employeurs qui remplacent systématiquement leurs salariés permanents par des travailleurs intérimaires, notamment pour se débarrasser des syndicats ou empêcher qu’ils s’implantent chez eux. Le fabricant américain de verre d’emballage Owens Illinois a décidé en 2012 de détruire notre affilié Sintravidricol à son usine de Cogua Cundimarca, en Colombie, en remplaçant systématiquement les affiliés de Sintravidricol occupant des postes permanents par des intérimaires. Beaucoup des salariés ainsi licenciés travaillaient depuis dix ans pour l’entreprise et le seul motif de licenciement était la volonté de l’entreprise de se débarrasser du syndicat.

Une recherche effectuée par le Centre pour les droits sociaux et du travail à Moscou a démontré qu’en Russie, le travail intérimaire ne fait que se substituer à l’emploi permanent et stable, malgré que les agences se targuent d’un rôle de passerelle entre le chômage et un emploi stable.

De même, en Turquie, l’affilié d’IndustriALL Petrol-İş connaît nombre de cas d’entreprises où le travail intérimaire, autrefois marginal, a pris la place de l’emploi direct et est devenu la norme.

Dans un nombre croissant de cas, les employeurs transfèrent l’emploi des salariés en place à des agences. Les travailleurs reçoivent alors un salaire inférieur pour continuer à faire le même travail et les emplois permanents sont convertis en emplois intérimaires.

FICTION 2: Le travail intérimaire est un moyen efficace de trouver un travail permanent

Cette affirmation se fonde sur un sondage d’opinion réalisé auprès du grand public dans huit pays d’Europe occidentale. Rien ne démontre pour l’instant que le travail intérimaire soit effectivement un tremplin vers un emploi permanent. Une étude de 2010 sur le rôle que joueraient les agences pour faciliter la transition de l’aide sociale à un emploi stable a conclu que l’emploi intérimaire n’améliore pas et peut même faire diminuer la rémunération des travailleurs et les bénéfices de l’emploi, et que seule l’embauche directe augmente de manière substantielle les rémunérations et l’emploi. Il s’avère que l’offre d’un poste intérimaire et temporaire à des travailleurs peu qualifiés n’est pas plus productive que l’absence totale de service de placement.

En Australie, une enquête réalisée par le National Union of Workers (NUW) auprès de ses adhérents employés par l’intermédiaire d’agences a conclu que 54% d’entre eux occupaient le même poste depuis plus de deux ans. D’après l’Enquête sur la main-d’oeuvre aux Philippines, seuls 11% des travailleurs intérimaires passent à un emploi régulier, permanent et à temps plein, 36% ne sont pas réengagés et moins de 1% des employeurs ont l’intention de régulariser les emplois intérimaires.

Les propres statistiques de la Ciett montrent qu’aux États-Unis, 59% des travailleurs intérimaires acceptent un poste proposé par une agence dans le but d’obtenir un emploi permanent, mais que seuls 20% d’entre eux en obtiennent un.

FICTION 3: Les services d’emploi privés ne contribuent à améliorer les marchés du travail que s’ils sont correctement réglementés

À première vue, cette affirmation semble fondée. Hélas, la Ciett ne s’intéresse qu’à une réglementation qui favorise «l’acceptation et le bon développement de l’industrie», autrement dit qui ouvre davantage encore l’économie d’un pays au travail intérimaire. Une telle affirmation est particulièrement dangereuse en ce qu’elle ne reconnaît pas que les violations des droits au travail sont la conséquence directe de la relation triangulaire, que les agences fonctionnent bien ou non.

Une réglementation efficace doit avoir pour but de protéger les droits des travailleurs. Elle doit fixer des limites au champ d’activité des agences et à la durée des contrats intérimaires et imposer l’égalité de traitement.

Ce n’est pas le genre de réglementation préconisé par la Ciett.

Notre expérience est que les agences d'emploi temporaire ne promeuvent pas le travail décent mais que, au contraire, elles le sapent en institutionnalisant un emploi triangulaire qui maintient les travailleurs dans un état de précarité et affaiblit leur capacité à exercer efficacement leurs droits à s'organiser et à négocier avec ceux qui fixent leurs conditions d'emploi ... L'explosion du travail précaire de ces dernières décennies s'est accompagnée d'une progression de la pauvreté, des inégalités, de l'insécurité et d'un déclin des effectifs des syndicats et de leur pouvoir de négociation.

            - Petrol-İș, Turquie

FICTION 4: Les services d’emploi privés offrent du travail décent

La Ciett n’a jamais été en mesure d’étayer par des éléments concrets cette affirmation qui, d’ailleurs, va à contre-courant de l’expérience des syndicats partout dans le monde. Il est irréfutable que, partout, les travailleurs intérimaires sont moins payés et ont de moins bonnes conditions que les salariés directs faisant le même travail – les exemples abondent dans ce rapport.

L’effet net d’un abaissement des salaires et des conditions des travailleurs intérimaires est une dégradation des conditions de travail de tous les travailleurs. À mesure que le travail intérimaire remplace l’emploi direct, l’unité de négociation se réduit et avec elle la force de négociation. Loin de contribuer au travail décent, le travail intérimaire le compromet de manière directe.

FICTION 5: Dans beaucoup de pays, le travail intérimaire est considéré commeun choix de mode de vie

Que demandent en réalité les travailleurs intérimaires ? D’après la Ciett, les intérimaires optent pour un emploi fourni par une agence plutôt que pour un emploi direct parce que cela leur permet d’acquérir de l’expérience et de travailler de manière flexible et, ainsi, de mieux concilier travail et vie privée. En réalité la plupart des travailleurs intérimaires n’ont pas le choix entre un emploi intérimaire et un emploi direct, et ils n’ont d’ailleurs pas leur mot à dire sur leur durée et leurs horaires de travail.

Lorsque le Centre néerlandais de recherche sur les entreprises multinationales SOMO a demandé à des travailleurs intérimaires de l’industrie de l’électronique de citer la seule chose qui améliorerait le plus leur existence, ils ont répondu «devenir un travailleur permanent embauché directement par la firme pour laquelle je travaille».

De même, une enquête sur le travail intérimaire dans l’industrie de transformation de la viande réalisée en 2010 au Royaume-Uni par l’Equality and Human Rights Commission a révélé que, pratiquement tous les travailleurs préféreraient un travail permanent pour la sécurité et les droits qu’il apporte. Seuls 4 des 260 travailleurs interrogés préféraient un travail intérimaire à un emploi direct et seuls 2 d’entre eux jugeaient positivement la flexibilité offerte par le travail intérimaire.

Dans une contribution à l’enquête sur l’insécurité du travail réalisée en Australie en 2012, le NUW citait une étude réalisée auprès d’adhérents employés par le biais d’agences d’emploi, qui montrait que leur préoccupation première était l’absence de sécurité d’emploi et que 80% préféreraient un statut permanent si on le leur proposait.

Et en Russie, le Centre pour les droits sociaux et du travail a constaté que, loin d’opter librement pour le travail intérimaire, les gens ne l’acceptent que lorsqu’ils n’ont pas d’autre choix.

La bataille législative pour l'emploi direct

Partout dans le monde, la bataille contre le travail intérimaire se joue dans l’enceinte des parlements, où les organisations d’employeurs, dont la Ciett et la Chambre de commerce américaine, mènent un lobbying acharné pour obtenir la suppression de tous les obstacles législatifs au travail intérimaire.

Des institutions mondiales comme la Banque mondiale, le Fonds monétaire international (FMI) et l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) contribuent à créer un climat favorable qui permet aux agences de préparer le terrain législatif en préconisant incessamment une flexibilisation des marchés du travail comme la formule conduisant à la croissance économique, alors que cette affirmation est démentie dans les faits.

La mondialisation au nom de la croissance ne peut se faire au coût humain de l'exploitation des travailleurs.

Quelques exemples :

  • En Malaisie, en 2010, le gouvernement a proposé d’amender la Loi sur l’emploi pour donner aux pourvoyeurs de main-d’oeuvre le statut légal d’employeurs reconnus et pour officialiser le régime contractuel qui n’avait jusqu’alors aucun statut légal. Les syndicats se sont vivement opposés à ces amendements et le gouvernement les a d’abord retirés, mais pour les déposer une nouvelle fois en 2011. Cette fois, le projet de loi a été voté en mars 2012 mais, devant la permanence de l’opposition du mouvement syndical, il avait été sensiblement amendé, la légalisation des pourvoyeurs de maind’oeuvre ne concernant plus que le secteur des plantations à l’exception de tous les autres. Quoi qu’il en soit, les syndicats malaisiens y voient toujours un risque de dérive vers une légitimation totale du travail intérimaire.
  • • En Turquie a été proposée une législation visant à flexibiliser les conditions d’emploi et de travail par, entre autres mesures, une légalisation de l’externalisation de l’activité de base et des agences de travail temporaire.
  • • Le gouvernement coréen se propose depuis longtemps d’amender sa législation de manière à allonger la période au terme de laquelle un travailleur temporaire doit devenir permanent, en la portant de 2 à 4 ans, et de supprimer toutes les restrictions aux catégories de travail pour lesquelles des travailleurs détachés ou intérimaires peuvent être utilisés.
  • • En Europe, la forme de restriction au travail intérimaire la plus répandue consiste à interdire son utilisation pour remplacer des travailleurs en grève. Les interdictions pures et simples du travail intérimaire sont rares mais, alors qu’il fait l’objet de restrictions dans beaucoup de pays, celles-ci sont progressivement remises en cause par le travail de sape mené par les entreprises et les agences.

Lorsque des gouvernements proposent une législation visant à protéger les travailleurs intérimaires, les groupes de pression des entreprises et des agences entrent en jeu pour s’y opposer. 

  • En 2012, lorsque le gouvernement autrichien a voulu légiférer pour protéger les travailleurs intérimaires dans la ligne fixée par la directive européenne sur le travail intérimaire, le lobby des entreprises et des agences, dont Manpower, est entré en action. Le texte proposait l’égalité de traitement entre les travailleurs temporaires et permanents ainsi qu’un préavis de deux semaines et une taxe de 110 € pour la résiliation d’un contrat d’emploi. Les agences ont répliqué en menaçant de dénoncer la convention collective du secteur ou de délocaliser leurs activités dans d’autres pays.
  • En Russie, les syndicats ont appuyé le dépôt devant la Douma d’État d’une proposition de loi qui aurait eu pour effet d’interdire aux employeurs de transférer leurs salariés à un tiers lorsqu’il existe une base raisonnable de relations d’emploi régulières. Appelée loi «d’interdiction du travail intérimaire », elle comportait des amendements au code du travail interdisant les relations d’emploi triangulaires. Elle a été adoptée en première lecture à la Douma d’État en mai 2011, mais s’est heurtée à l’opposition féroce et au lobbying des intérêts liés au secteur des agences, et notamment la Ciett. Il est peu probable qu’elle soit votée sans être substantiellement amendée.
  • En 2007 a été adoptée en Namibie une loi interdisant toutes les formes de placement de travailleurs. Elle déclarait illégal le fait d’»employer une personne dans le but de mettre cette personne à la disposition d’une tierce partie aux fins d’effectuer un travail pour cette tierce partie». Les entreprises et les agences ont contesté cette loi et ont exercé une pression telle qu’elle a finalement été annulée par la Haute-Cour. Par la suite, les syndicats ont proposé d’interdire les relations d’emploi triangulaires tout en autorisant les agences à recruter et détacher des travailleurs.
  • En Afrique du Sud, les syndicats ont suivi attentivement l’évolution de la situation en Namibie voisine et réclamé une loi interdisant l’emploi intérimaire. Dans l’impossibilité d’aboutir par la voie législative, les syndicats sud-africains ont porté leur lutte contre les courtiers en main-d’oeuvre à la table des négociations. Après quatre mois de négociation et deux semaines de grève nationale, les travailleurs de l’industrie automobile, représentés par le National Union of Metalworkers of South Africa (NUMSA), ont obtenu un accord excluant les courtiers en maind’oeuvre de l’industrie. Le syndicat étend maintenant cet accord à d’autres secteurs.

L’opinion publique est majoritairement favorable à une législation protégeant les travailleurs. D’après un sondage réalisé en 2012 par la CSI dans les pays du G-20, 71% des 13.000 personnes interrogées ne croient pas que la législation du travail assure une sécurité d’emploi adéquate.

Décisions de justice

Entre-temps, un peu partout dans le monde, les tribunaux s’impliquent de plus en plus dans la réglementation du travail intérimaire et rendent parfois des décisions allant dans le sens de la protection des travailleurs.

En janvier 2012, la Haute-Cour de Finlande a rendu un arrêt disant qu’en l’absence de motif justifié et objectif de maintenir un emploi temporaire, cet emploi est permanent. Le fait qu’une mission donnée par une agence soit limitée dans le temps n’est pas un motif suffisant. En 2006, une vendeuse a perdu son emploi lorsque le contrat liant l’agence qui l’employait à l’entreprise-cliente arriva à expiration. Or, ladite entreprise avait un besoin  permanent de vendeuses et elle se mit immédiatement à chercher des remplaçantes. Après une série de recours devant des juridictions inférieures, la Haute-Cour a conclu qu’un emploi n’est pas temporaire du simple fait qu’un employeur a recours à des agences d’emploi.

Dans une décision de janvier 2012 qui fait date, la Cour constitutionnelle d’Indonésie a statué que le travail contractuel est inconstitutionnel et contraire aux droits des travailleurs inscrits dans la constitution indonésienne. Cette décision signifie que des millions de travailleurs sous contrat vont acquérir l’égalité de droits en matière de salaire mensuel, d’indemnités, de primes de licenciement et de prestations sociales. La Cour a décidé à l’unanimité d’annuler tous les articles de la législation du travail relatifs aux travailleurs contractuels et à l’externalisation parce qu’ils sont contraires à la constitution qui assure la protection des travailleurs et de leurs droits.

En juin 2012, la Cour du travail d’Afrique du Sud s’est prononcée en faveur d’un travailleur qui avait été licencié en 2009. Cinq ans auparavant, son employeur, Mondi Packaging, avait transféré son emploi à l’agence d’intérim Adecco. Son salaire avait alors été réduit alors qu’il continuait à faire exactement le même travail. La Cour a confirmé ses droits en matière de licenciement, concluant à la continuité de sa relation d’emploi avec Mondi et qu’Adecco n’était jamais devenue son employeur.

En septembre 2011 en Inde, la Cour suprême a fermement condamné une pratique répandue chez les employeurs qui consiste à déclarer leurs salariés comme salariés d’un sous-traitant. Ils contournent de la sorte la réglementation du travail et paient des salaires inférieurs. Dans le cas qui nous occupe, les travailleurs contractuels percevaient 56 roupies (1 $) par jour tandis que les employés directs étaient payés 70 roupies (1,26 $).

Dans son arrêt, la Cour déclarait:

…cette nouvelle technique de subterfuge est adoptée depuis  quelques années par certains employeurs pour priver lestravailleurs des droits que leur confèrent divers textes légaux sur le travail en indiquant que les travailleurs concernés ne sont pas leurs salariés mais les salariés d’un sous-traitant, ou qu’ils sont simplement des journaliers ou du personnel de courte durée ou occasionnel, alors qu’en réalité il font le travail de salariés réguliers … La mondialisation au nom de la croissance ne peut se faire au coût humain de l’exploitation des travailleurs.

Contourner la loi

Le comble de l’ironie est que la réglementation du travail intérimaire dans laquelle nous voyions tous un moyen d’améliorer le sort des travailleurs précaires ait consacré les bas salaires et les conditions minimales.

            - Jennie Formby, Unite UK

Même lorsque la loi apporte, en théorie, une certaine protection contre l’exploitation des travailleurs intérimaires, les employeurs font preuve de créativité pour trouver des moyens de la contourner, voire la bafouer carrément.

En Inde, la Loi sur le travail contractuel (réglementation et abolition) stipule que les travailleurs contractuels qui effectuent le même travail ou un travail similaire à celui des travailleurs permanents ont droit aux mêmes salaires et conditions. Aux termes de cette loi, il est interdit d’affecter de la main-d’oeuvre contractuelle à des fonctions permanentes ou de base. Mais elle est largement violée et, en règle générale, les travailleurs contractuels ont des conditions d’emploi et de travail moins favorables alors qu’ils remplissent des fonctions de base.

De même, en Chine, la Loi sur le contrat de travail spécifie que les entreprises ne peuvent utiliser de personnel détaché que pour occuper des «postes temporaires, auxiliaires ou de remplacement», mais cette disposition est largement bafouée, les travailleurs intérimaires constituant la majorité de l’effectif de nombreuses usines et étant engagés pour des périodes de longue durée. Les cotisations sociales, qui peuvent représenter jusqu’à 40% des coûts de main-d’oeuvre, sont rarement versées par les courtiers en main-d’oeuvre, alors qu’elles leur incombent légalement.

Le syndicat allemand IG Metall indique que les travailleurs temporaires sont engagés pour des périodes tellement courtes qu’ils ne peuvent en aucun cas prétendre à des indemnités de chômage lorsqu’ils perdent leur emploi. Il cite des cas d’agences qui n’accordent pas aux travailleurs le nombre exact de jours de congé qui leur est dû ou qui ne leur versent pas les prestations de maladie auxquelles ils ont droit aux termes de la loi.

En Suède, la loi stipule que les travailleurs sont en droit de retrouver leur emploi si le poste qu’ils occupaient est recréé dans les neuf mois suivant sa suppression. Beaucoup d’employeurs contournent la règle en attendant neuf mois avant d’engager un travailleur intérimaire.

Exploiter les failles

Depuis son introduction en 2008, les employeurs n’ont cessé de trouver des moyens de contourner les protections des travailleurs contenues dans la directive européenne relative au travail intérimaire. Cette directive vise à instaurer un cadre de protection pour les travailleurs intérimaires, en particulier pour assurer que les conditions minimales de travail et d’emploi des travailleurs intérimaires soient au moins celles qui seraient d’application s’il étaient employés directement par l’entreprise utilisatrice.

Toutefois, la directive présente quelques failles que les employeurs et les agences ont exploitées au maximum. Par exemple, elle autorise de déroger au principe de l’égalité de travail en cas d’accord entre syndicats et employeurs. Au Royaume-Uni, les travailleurs intérimaires n’ont droit à l’égalité de traitement qu’après 12 semaines d’engagement plutôt que dès le départ. En pratique, cela implique que de plus en plus de contrats d’agence ont une durée inférieure à 12 semaines, ce qui, en 2011, affectait déjà 50 à 60% de tous les travailleurs intérimaires.

Mais la faille la plus importante qu’exploitent les employeurs et les agences est ce qu’on appelle la «dérogation suédoise». Cette clause dérogatoire fait que le principe de l’égalité salariale ne s’applique pas aux travailleurs intérimaires employés de manière permanente par l’agence et qui sont rémunérés entre leurs missions. Elle est maintenant largement utilisée dans plusieurs États de l’Union européenne, dont le Royaume-Uni, la Suède, l’Italie, l’Allemagne et l’Autriche. Les rémunérations entre deux missions ne doivent pas être égales à 100% du salaire et les taux payés varient d’un pays à l’autre. En Suède, entrent deux missions, les travailleurs permanents d’une agence reçoivent 80% du salaire de leur dernière mission tandis qu’au Royaume-Uni, ce sont 50% et 700 € en Italie.

Dans la pratique, ces dispositions permettent aux agences d’échapper à l’obligation d’égalité de traitement. Le système fait aussi que le lien entre les salaires des travailleurs intérimaires et ceux de travailleurs comparables dans l’entreprise utilisatrice est rompu, ouvrant ainsi la porte à un nouveau creusement de l’écart salarial.

On signale de plus en plus d’abus résultant de cette dérogation. Au Royaume-Uni, une agence a fait signer à 8.000 de ses 25.000 travailleurs temporaires des contrats permanents d’agence (y compris tout le personnel d’une entreprise du groupe DHL fabriquant des pièces pour une chaîne de montage Jaguar-Land Rover). Des membres de notre affilié Unite the Union ont subi des pressions pour qu’ils signent des contrats par lesquels ils perdaient jusqu’à 200 £ (320 $) par semaine.

Dans certains pays, dont les Pays-Bas, des syndicats factices ou jaunes sont de connivence avec des agences avec lesquelles ils signent des accords permettant de rémunérer beaucoup moins les travailleurs intérimaires que les salariés directs.

En Irlande, l’Irish Congress of Trade Unions a demandé que la dérogation suédoise ne figure pas dans la législation, mais que celle-ci comporte des garanties anti-abus qui assurent aux travailleurs intérimaires 90% au moins de leur salaire entre leurs missions.

Difficile de se syndiquer; impossible de négocier

Les obstacles empêchant les travailleurs intérimaires de se syndiquer sont nombreux et considérables. La réglementation du travail leur refuse souvent la possibilité de s’affilier à un syndicat ou de s’affilier au syndicat du lieu où ils travaillent. Dans beaucoup de pays, la loi empêche les travailleurs intérimaires d’adhérer aux mêmes syndicats et d’être couverts par les mêmes conventions collectives que les travailleurs permanents. Au Bangladesh, les travailleurs intérimaires ne sont pas autorisés à s’affilier au même syndicat que les travailleurs employés directement qui travaillent à leurs côtés. En Thaïlande, les travailleurs intérimaires sont répertoriés comme travailleurs du secteur des services, même lorsqu’ils sont affectés à un travail en usine, et ne sont donc pas autorisés à s’affilier à des syndicats du secteur manufacturier.

Individuellement, le travailleur intérimaire n’a souvent guère de motivation de se syndiquer ou de s’impliquer dans la négociation parce qu’il a peu d’attaches avec son lieu de travail, son emploi est de courte durée ou sporadique et il n’a aucune garantie de rester dans l’entreprise (bien que beaucoup finissent par faire le même travail pendant des années).

Mais il ne fait aucun doute que la raison majeure pour laquelle les travailleurs intérimaires ne se syndiquent pas est la crainte fondée de perdre leur emploi. Beaucoup d’employeurs recourent au travail intérimaire pour empêcher la syndicalisation de leur personnel. Le licenciement sommaire ou la menace de licenciement de travailleurs intérimaires qui veulent s’affilier à un syndicat ou en créer un sont des formes de contrôle très répandues.

Dans les zones économiques spéciales des Philippines, le recours à des agences d’emploi privées est systématiquement utilisé comme moyen d’empêcher les travailleurs de s’organiser dans des syndicats.

S’agissant de la négociation, les travailleurs intérimaires sont dans une situation impossible. La relation triangulaire d’emploi a pour conséquence que, même si le droit de négocier collectivement existe sur papier (et est reconnu dans les conventions de l’OIT), en règle générale, les travailleurs n’ont aucune possibilité d’exercer ce droit. C’est l’entreprise u tilisatrice qui les emploie qui détermine leurs conditions de travail quotidiennes et, dans la plupart des cas, fixe les taux de salaire alors que, d’un point de vue technique, elle n’est pas leur employeur. Il n’y a non plus aucune raison qu’ils négocient avec l’agence, qui est leur employeur officiel, parce que cette agence n’a aucun droit de regard sur leur travail.

La situation se complique encore lorsque plusieurs agences sont présentes sur un même lieu de travail. Dans le secteur automobile coréen, il est courant que des travailleurs détachés par plusieurs agences différentes travaillent sur les lignes de production à côté de travailleurs employés directement dont ils ne se distinguent que par des vestes de couleur différente et qui n’ont, aucune possibilité de négocier collectivement avec l’entreprise pour laquelle ils travaillent.

La négociation collective est un des principaux mécanismes permettant de réglementer l’utilisation du travail intérimaire ainsi que les salaires et les conditions des travailleurs intérimaires. Or, pour la plupart, cette négociation collective est hors de leur portée. Comment la négociation collective pourrait-elle se dérouler efficacement dans une relation d’emploi triangulaire ? Comment utiliser des conventions collectives pour limiter le travail intérimaire ? Dans ces deux cas, la force syndicale est déterminante.

Principes syndicaux mondiaux relatifs aux agences de travail temporaire

Les Global Unions ont arrêté ensemble une série de principes relatifs au recours aux agences de travail temporaire. Le premier de ces principes est que, par défaut, l’emploi doit être permanent et direct.

Les autres principes sont notamment que :

  • Les travailleurs intérimaires doivent avoir le droit garanti de se syndiquer et d’être couverts par les mêmes conventions collectives que les autres travailleurs de l’entreprise utilisatrice.
  • Les travailleurs intérimaires doivent jouir de l’égalité de traitement à tous égards.
  • Les agences ne peuvent être utilisées pour éliminer des emplois permanents et directs ni pour saper le droit de s’organiser et de négocier collectivement.
  • Les travailleurs intérimaires ne peuvent jamais servir à remplacer des travailleurs en grève ou à porter atteinte à l’action collective.
  • Lorsque des gouvernements autorisent l’activité d’agences, ils doivent les réglementer strictement et les soumettre à l’octroi de licences, et
  • Les gouvernements doivent prendre des mesures concrètes pour garantir le droit des travailleurs intérimaires de se syndiquer.

Pour le texte intégral de ces principes, voir http://www.global-unions.org/statement-global-union-principles.html

Négocier avec les entreprises utilisatrices

Quand ils sont suffisamment forts dans les entreprises ou les industries utilisatrices, les syndicats sont en mesure de négocier des accords qui fixent des limites au travail intérimaire. Ces limites portent par exemple sur la proportion de travail intérimaire autorisée et les fonctions que peuvent assurer les travailleurs intérimaires, sur l’égalité de traitement des travailleurs intérimaires et la durée autorisée au terme de laquelle l’emploi doit devenir permanent et direct. Il est essentiel de limiter le travail intérimaire parce que, plus cette forme de travail progresse, plus l’unité de négociation se réduit et s’affaiblit, rendant de tels accords impossibles.

Fin 2010, notre affilié sud-africain NUMSA a passé avec les fédérations des employeurs des secteurs du pneu et de l’automobile un accord stipulant qu’ils cesseront progressivement de recourir aux courtiers en main-d’oeuvre qui seront, à terme, exclus de l’industrie. En 2011, le même syndicat a conclu avec la Steel and Engineering Federation of South Africa, la principale fédération des employeurs de la métallurgie, un accord suivant lequel des travailleurs ne peuvent être employés par l’intermédiaire de courtiers de main-d’oeuvre pendant plus de quatre mois, période après laquelle leur emploi doit devenir permanent.

En Argentine, l’AOMA a signé un accord-cadre national pour le secteur du ciment qui instaure l’égalité des salaires et des prestations de tous les travailleurs effectuant essentiellement le même travail, quel que soit leur statut dans l’emploi. Un accord similaire a été conclu par le syndicat FASPyG.P pour les champs pétroliers, les raffineries et le secteur gazier; il prévoit que, même en cas d’externalisation de 60% du travail, tous les travailleurs percevront les mêmes salaires et les mêmes prestations pour un travail d’égale valeur.

Pourtant la négociation sur le travail intérimaire avec les entreprises utilisatrices n’est pas toujours possible. Les syndicats australiens réclament depuis longtemps une réforme de la législation du travail qui permettrait de négocier les conditions du travail intérimaire et de l’externalisation du travail. Dans l’état actuel des choses, une telle négociation n’est pas autorisée.

Aux Pays-Bas, FNV Bondgenoten s’efforce avant tout d’obtenir de meilleurs salaires, droits de pension et possibilités de formation pour les travailleurs intérimaires plutôt que de mettre l’accent sur la sécurité d’emploi. La raison est qu’il a constaté que l’inscription dans une convention collective du droit à un emploi permanent après une période plus courte a l’effet inverse à celui recherché, les employeurs licenciant les travailleurs intérimaires plus tôt afin de se soustraire à ces dispositions.

Par sa volonté affirmée d’améliorer les conditions des travailleurs intérimaires, IG-Metall a gagné 38.000 nouveaux adhérents parmi le personnel temporaire. En mai 2012, le syndicat allemand a remporté deux grandes victoires. Premièrement, il a obtenu des employeurs de la métallurgie un accord accordant aux comités d’entreprise le droit de s’opposer au recours au travail intérimaire.  Si l’employeur veut malgré tout aller de l’avant, il doit soit aller devant la justice, soit négocier avec le comité d’entreprise un accord fixant le nombre des travailleurs intérimaires engagés, la durée de leur engagement et leurs salaires. Il faut s’attendre à ce que la plupart des employeurs préfèrent passer par un accord, ce qui donnera véritablement aux comités d’entreprise le droit de limiter le travail intérimaire et de garantir l’égalité salariale. Cet accord oblige aussi les employeurs à offrir un emploi permanent aux travailleurs temporaires après les avoir employés 24 mois au maximum.

Négocier avec les agences

Le second élément de la stratégie d’IG-Metall consistait à obtenir un accord avec les agences de travail temporaire par lequel elles s’engageraient à verser aux travailleurs temporaires employés dans la métallurgie des primes supplémentaires en rapport avec les salaires élevés pratiqués dans cette industrie. Ces «primes sectorielles» sont en passe de combler l’écart entre les salaires des travailleurs intérimaires et des salariés directs, conformément à l’objectif du «salaire égal pour un travail égal» affiché par IG-Metall.

Bien que la négociation avec les agences ait permis d’obtenir des résultats appréciables pour les travailleurs intérimaires, ceux-ci sont principalement le fait de syndicats d’Europe occidentale. De tels accords ne sont possibles que lorsque les syndicats sont bien implantés parmi les travailleurs intérimaires, ce qui veut dire qu’ils ne peuvent servir de référence pour la plupart des situations de travail intérimaire dans le monde. Mais cette démarche a aussi d’autres inconvénients.

Dans de nombreuses relations triangulaires, en réalité, la négociation se situe entre l’entreprise utilisatrice et l’agence dont les termes du contrat sont fixés entre elles. Les travailleurs et leurs syndicats n’ont aucune influence sur ces conditions, qu’ils ignorent de toute façon; or, ce sont principalement ces clauses qui déterminent la marge de négociation que les travailleurs ont avec les agences. De même, il n’est pas possible que des accords passés avec des agences fixent les limites du recours au travail intérimaire, ce qui explique pourquoi les accords avec les agences qui donnent des résultats vont de pair avec des accords avec l’industrie, comme dans le cas d’IG-Metall.

Négociation mondiale

Une véritable négociation collective à l’échelon mondial reste à faire, mais des signes notables indiquent que des accords peuvent être conclus à l’échelon mondial entre des entreprises multinationales et des Fédérations syndicales internationales (FSI) pour limiter le recours au travail intérimaire dans ces entreprises et leurs chaînes d’approvisionnement.

En 2010, trois FSI ont signé avec GDF Suez un Accordcadre mondial qui stipule que l’entreprise 

reconnaît l’importance d’un emploi stable à la fois pour l’individu et l’entreprise à travers la préférence pour l’emploi permanent, à durée indéterminée et direct. GDF SUEZ et tous les sous-traitants seront pleinement responsables du fait que tout le travail soit effectué dans le cadre légal approprié et, en particulier, ne chercheront pas à éviter les obligations de l’employeur vis-à-vis de travailleurs dépendants en déguisant ce qui serait autrement une relation de travail ou en faisant un usage excessif des travailleurs temporaires ou intérimaires.

Ce n’est certainement pas la seule piste à suivre pour rechercher de quelle manière les Accords-cadres mondiaux peuvent être utilisés efficacement pour réglementer l’utilisation du travail intérimaire dans les entreprises multinationales et leurs chaînes d’approvisionnement.

Agissez et mobilisez-vous !

Les syndicats descendent dans la rue

Le recours accru des employeurs à une main-d’oeuvre intérimaire atteint rapidement un point de crise dans de nombreux pays. Les travailleurs voient l’équilibre des forces dans la relation d’emploi basculer massivement en faveur des employeurs tandis que les risques liés à l’emploi pèsent de plus en plus lourd sur les épaules des travailleurs. Les syndicats répliquent en descendant dans la rue.

En Inde, les travailleurs utilisent systématiquement de la main-d’oeuvre contractuelle pour contourner la législation du travail. En février 2012, des millions de travailleurs sont descendus dans la rue pour une grève générale à l’appel des centrales syndicales. Une revendication essentielle de cette action était que les travailleurs contractuels aient les mêmes droits et les mêmes protections que les travailleurs permanents.

En mars 2012, plus de 200.000 travailleurs sont descendus dans les rues de 32 villes d’Afrique du Sud pour une extraordinaire démonstration de force contre les courtiers en main-d’oeuvre. D’après les chiffres de la Ciett près d’un million de travailleurs sont employés par des courtiers en main-d’oeuvre en Afrique du Sud.

En Norvège, 150.000 travailleurs ont participé en janvier 2012 à une grève nationale pour protester contre le projet du gouvernement d’adopter la directive européenne sur le travail intérimaire. Les travailleurs ont défilé dans les villes de Norvège, animés par la crainte que, dans les faits, cette directive favorise le recours au travail contractuel qui décimera les salariés permanents et affaiblira les droits syndicaux et les conventions collectives.

En février 2011, quelque 10.000 travailleurs en Indonésie et plus de 210.000 en Allemagne sont descendus dans la rue pour protester contre la menace croissante de l’emploi précaire.

Le travail décent est un droit. Le courtage de main-d’oeuvre n’est rien d’autre que de l’esclavage et source d’énormes problèmes pour la classe laborieuse. Nous devons être fermes et faire qu’il soit interdit une fois pour toutes.

            - Irvin Jim, NUMSA

Moyens d’action des syndicats

Partout dans le monde, les syndicats rassemblent leurs forces et combattent la propagation du travail intérimaire. Ils négocient des conventions collectives qui limitent cette forme de travail et garantissent l’égalité de traitement. Ils s’opposent à des réformes législatives qui propagent le travail intérimaire et réclament des restrictions légales à cette forme de travail. Par millions, les syndicalistes descendent dans la rue pour réclamer qu’il soit mis fin à l’exploitation qui va de pair avec le travail intérimaire.

À côté de ces moyens d’action traditionnels, les syndicats ont à leur disposition des mécanismes de dimension mondiale qu’ils peuvent utiliser pour appuyer leurs actions contre le travail intérimaire. Les Accords-cadres mondiaux s’attaquent progressivement à l’emploi précaire et leur champ d’application peut être élargi pour englober le travail intérimaire dans tous les centres d’exploitation des multinationales.

Plusieurs conventions de l’OIT traitent directement du travail intérimaire:

  • La convention 181 de l’OIT sur les agences d’emploi privées impose aux gouvernements de prendre des mesures pour faire en sorte que «les travailleurs recrutés par les agences d’emploi privées ne soient pas privés de leur droit à la liberté syndicale et à la négociation collective». Elle permet aussi aux gouvernements d’interdire aux agences d’emploi privées d’opérer à l’égard de certaines catégories de travailleurs ou dans certaines branches d’activité économique. Ces deux dispositions donnent à elles seules aux gouvernements de larges possibilités pour enrayer la progression de l’emploi intérimaire et faire en sorte que les travailleurs intérimaires soient en mesure d’exercer leurs droits fondamentaux au travail.
  • La convention 96 de l’OIT sur les bureaux de placement payants porte sur l’abolition progressive des agences à but commercial.
  • La recommandation 198 de l’OIT sur la relation de travail invite les gouvernements à suivre l’évolution du marché du travail et de l’organisation du travail et à donner des avis en vue de l’adoption et de l’application de mesures concernant la relation de travail. Les gouvernements sont supposés recueillir des informations et des données statistiques et entreprendre des études sur l’évolution de la structure et des modalités du travail aux niveaux national et sectoriel, quoique peu ait été fait à ce jour. Il y est également question des relations de travail déguisées que peut supposer l’emploi intérimaire.
  • La recommandation 91 de l’OIT sur les conventions collectives peut être utilisée pour étendre la couverture des conventions collectives à des industries entières et préconiser une négociation portant sur le travail intérimaire dans l’ensemble de l’industrie.

Comme c’est le cas pour de nombreuses législations du travail nationales, les normes internationales du travail date d’une époque antérieure à l’explosion du travail intérimaire et se fondent sur un modèle d’emploi direct et permanent qui perd rapidement du terrain.

Une action doit être menée d’urgence pour préciser le rapport entre les normes actuelles, le travail intérimaire et les relations triangulaires en général et faire en sorte que tous les travailleurs jouissent des protections qu’elles offrent. Il est  important de mettre ces normes à l’épreuve en recourant aux mécanismes d’examen des plaintes afin de déterminer leur portée, mais aussi pour traiter de violations en particulier. Les syndicats peuvent contribuer à renforcer l’application des normes en menant campagne pour leur application et en introduisant des recours à l’échelon mondial.

Les recours adressés au Comité de la liberté syndicale de l’OIT peuvent servir à porter plainte contre un gouvernement qui ne protège pas le droit des travailleurs intérimaires de se syndiquer et de négocier collectivement.

Plainte contre la Corée à l'OIT

En 2006, le Syndicat coréen des ouvriers de la métallurgie (KMWU) et la Fédération internationale des organisations de travailleurs de la métallurgie ont déposé plainte au Comité de la liberté syndicale de l’OIT contre le gouvernement coréen, accusé de ne pas protéger le droit à la liberté syndicale et la négociation collective des travailleurs en sous-traitance et de favoriser les violations de ce droit par les entreprises.

Des travailleurs détachés (intérimaires) de plusieurs usines sidérurgiques n’avaient pas été régularisés après des années de service ininterrompu, comme l’exige la législation. Lorsque ces travailleurs ont voulu créer un syndicat pour faire valoir leurs droits, ils ont été licenciés par l’entreprise pour laquelle ils travaillaient, soit par non-renouvellement de leur contrat, soit par non-renouvellement du contrat liant l’entreprise au pourvoyeur de main-d’oeuvre. Les travailleurs étaient dans une situation sans issue : l’employeur principal refusait de négocier, invoquant l’absence de relation d’emploi, et le pourvoyeur de main-d’oeuvre refusait lui aussi de négocier, prétendant n’avoir aucune influence sur les conditions d’emploi. La seule possibilité qu’avaient les travailleurs de mener une action collective pour appuyer leurs revendications était de le faire dans les locaux de l’employeur principal (là où ils travaillaient). Or, lorsqu’ils l’ont fait, ils ont été sanctionnés pénalement pour avoir mené une action illégale contre un tiers.

Le Comité de la liberté syndicale de l’OIT a adopté une recommandation enjoignant au gouvernement coréen de mettre en place des mécanismes qui renforcent la protection du droit des travailleurs détachés à la liberté syndicale et à la négociation collective, mais ce texte est resté sans  suite.

Les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales s’appliquent à tous les travailleurs ayant une relation d’emploi avec l’entreprise, y compris l’emploi intérimaire et d’autres formes d’emploi triangulaire. Ils comportent un mécanisme de recours qui permet aux organisations syndicales de soulever des questions relatives au comportement d’entreprises multinationales, notamment l’utilisation du travail intérimaire.

Le travail intérimaire n’est pas une fatalité. Les nombreux exemples que donne ce rapport montrent qu’en faisant preuve de fermeté et en usant de leur force collective, les syndicats peuvent endiguer le travail intérimaire à l’échelon local, national et mondial. Dénoncer les dangers d’un recours excessif et abusif au travail intérimaire est un élément clé de la campagne mondiale d’IndustriALL contre le travail précaire.

C’est ainsi que le travail intérimaire pourra être éliminé de l’industrie, par des syndicats qui mobilisent leurs membres pour protester, négocier les conditions du travail intérimaire, faire pression sur les gouvernements pour qu’ils fixent, dans la loi, des limites claires et applicables, et en s’unissant dans des campagnes mondiales.

Utiliser les Principes directeurs de l'OCDE

En 2009, l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation, de l’agriculture, de l’hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes (UITA) a utilisé avec succès le mécanisme de plaintes des Principes directeurs de l’OCDE qui lui a permis de conclure avec Unilever un arrangement sur la proportion d’emploi direct dans son usine de thé Lipton de Khanewal, au Pakistan. Cette usine n’employait directement que 22 personnes pour 723 travailleurs intérimaires auxquels la loi interdisait de s’affilier au même syndicat que le personnel d’Unilever et de conclure une convention collective avec Unilever. Une campagne mondiale dirigée contre l’entreprise a permis à l’UITA d’avoir la haute main dans la médiation qui s’est tenue sous les auspices de l’OCDE et a conduit à ce que Unilever accepte de créer 200 emplois permanents et directs en plus.

AGISSEZ MAINTENANT

  • Montrez à votre gouvernement quel est le coût du travail intérimaire pour les travailleurs et leurs communautés
  • Réclamez une législation qui freine le travail intérimaire et protège les travailleurs
  • Négociez des conventions collectives qui fixent des limites au travail intérimaire
  • Organisez les travailleurs intérimaires et battez-vous pour leurs droits
  • Exhortez les entreprises à employer les travailleurs intérimaires directement
  • Menez des actions contre l’emploi intérimaire et les autres formes d’emploi triangulaires
  • Rejoignez la campagne mondiale d’IndustriALL STOP au travail précaire