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ENQUÊTE: Pourquoi le télétravail doit être réglementé par le dialogue social et la négociation collective

17 mai, 2021IndustriALL lance une consultation sur les lignes directrices pour la négociation du télétravail

ENQUÊTE

Global Worker No. 1 mai 2021

Texte: Armelle Seby

Tema: les lignes directrices pour la négociation du télétravail

Le télétravail s'est développé massivement pendant la pandémie et s’est installé de manière durable. Pour de nombreux travailleurs et travailleuses, il s'agit d'une expérience positive, mais le travail à distance sur une longue période a également révélé des limites et des risques. Les syndicats doivent réagir rapidement pour s'assurer que les travailleurs conservent les avantages du télétravail tout en évitant les pièges potentiels.

Le télétravail n'est pas apparu avec les confinements pour la Covid-19 : il est une conséquence du développement des nouvelles technologies et des outils numériques. Selon l'OCDE, en 2015, 25 % des travailleurs de l'industrie manufacturière ont travaillé à distance au moins une partie du temps.

Cependant, le recours au télétravail a explosé à l'échelle mondiale pendant la pandémie. Selon les chiffres de l'Union européenne, alors qu'en 2019, seuls 5,4 % des travailleurs de l'UE travaillaient habituellement à domicile, près de 40 % des travailleurs de l'UE ont commencé à télétravailler à temps plein à la suite de la pandémie.

Avant la Covid-19, de nombreux employeurs étaient réticents à autoriser le travail à distance en raison d'un manque de confiance dans leurs salariés et de la crainte d'une baisse potentielle de la productivité. De nombreux travailleurs craignaient également d'être moins efficaces en travaillant à domicile. Le télétravail pendant la pandémie a montré tant aux travailleurs qu’aux employeurs que le travail à domicile peut donner les mêmes résultats que le travail au bureau.

Cela a des implications majeures sur la façon dont le travail sera organisé à l'avenir. Des recherches montrent que tant les employeurs que les travailleurs souhaitent poursuivre le télétravail de manière régulière une fois la crise sanitaire passée. Selon une enquête du Forum économique mondial (FEM), plus de 80 % des employeurs prévoient de recourir davantage au télétravail et de numériser des processus de travail.

Cette évolution peut être variable dans les différentes régions du monde, puisque, selon le FEM, la part des emplois pouvant être exercés à distance a été estimée à 38 % dans les pays à revenu élevé, contre 13 % dans les économies à faible revenu.

Le télétravail présente de nombreux avantages pour les travailleurs, notamment une plus grande autonomie et une plus grande flexibilité. Le temps gagné en évitant les trajets domicile-travail peut être consacré aux loisirs et à la vie privée. Grâce au télétravail, les travailleurs peuvent avoir une meilleure qualité de vie et une plus grande satisfaction au travail.

Toutefois, le télétravail n'est pas toujours bénéfique pour les travailleurs. On devrait pouvoir choisir de travailler à distance ou non. Le télétravail devrait être volontaire et le choix devrait pouvoir être réversible.

Plusieurs éléments du travail à distance constituent un défi pour les droits des travailleurs et des syndicats. Lors de la négociation d'accords sur le télétravail, les syndicats doivent définir des critères de base pour la protection de ces droits.

Les législations nationales sur le travail ont été largement conçues en fonction de tâches effectuées sur un lieu de travail, sous le contrôle direct de l'employeur. Cela s'applique également aux réglementations en matière de santé et de sécurité au travail. Toutefois, dans le cas du travail à distance, le travail est effectué dans un lieu sur lequel l'employeur n'a pas de contrôle direct.

  • Comment s'assurer que les employeurs remplissent leur devoir de vigilance ?
  • Comment pouvons-nous nous assurer que les employeurs assument leurs responsabilités, comme garantir la santé et la sécurité sur le lieu de travail ?

La pandémie a confirmé que l'utilisation prolongée aussi bien que ponctuelle du télétravail génère des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs. Les travailleurs font état de douleurs dues à une mauvaise ergonomie et d'un sentiment d'isolement dû à la réduction des contacts avec leurs collègues. Les obligations des employeurs de protéger la santé et la sécurité de leurs employés et de garantir des lieux de travail exempts de violence et de harcèlement persistent, même pendant le travail à distance.

Les solutions permettant de surmonter le manque de contrôle des employeurs sur l'environnement de travail et d'aborder les risques du télétravail pour la santé et la sécurité doivent être négociées dans le cadre du dialogue social.

Le travail à domicile rend floue la frontière entre vie professionnelle et vie privée. Il est plus difficile pour les salariés de limiter leur travail aux heures légales et de se déconnecter lorsqu'ils ne sont pas de service. La législation sur le temps de travail et les heures supplémentaires devrait s'appliquer au télétravail. Le télétravail devrait également être l'occasion de promouvoir le droit à la déconnexion, non seulement pour les travailleurs à distance, mais pour tous les travailleurs. En outre, l'utilisation d'outils de surveillance numérique tels que des webcams ou des logiciels intrusifs menace le droit à la vie privée des travailleurs. C’est particulièrement vrai pour le travail à domicile. L'utilisation abusive des outils de surveillance doit être interdite. Le télétravail exige un style de gestion fondé sur la confiance mutuelle et l'autonomie et non sur le contrôle intrusif du travail.

Le télétravail soulève également des questions d'égalité. Tous les travailleurs n'ont pas la même possibilité d'accéder au télétravail. Tous les travailleurs ne disposent pas d'un espace adéquat à la maison pour le télétravail. Des solutions, notamment l'utilisation d'espaces ou de plateformes de co-working, doivent être négociées afin que les travailleurs ayant des maisons petites et animées, ou des conditions de vie précaires, ne soient pas pénalisés.

Tous les emplois ne peuvent pas être exercés à distance.

  • Comment faire en sorte que les travailleurs dont le travail nécessite une présence sur les sites de production ne soient pas désavantagés, et vice versa ?
  • Comment éviter de créer une division au sein des effectifs entre les employés de bureau et les personnes occupées à la production ?

Pour élargir l'accès au télétravail, les employeurs et les syndicats doivent identifier les tâches qui peuvent être effectuées à distance. Un travailleur qui doit être physiquement présent sur le lieu de travail pour certaines tâches devrait avoir la possibilité de recourir au télétravail pour celles qui peuvent être effectuées à distance.

En outre, les employeurs doivent garantir l'égalité de traitement de tous les travailleurs. Les travailleurs à distance risquent d'être moins visibles. Les employeurs doivent offrir les mêmes possibilités de formation et d'évolution de carrière aux travailleurs à distance.

En termes d'égalité des sexes, le télétravail ne doit pas être considéré comme une solution à la répartition inégale du travail domestique non rémunéré en permettant aux femmes de combiner vie professionnelle et travail domestique. Le télétravail doit promouvoir la coresponsabilité, en laissant plus de temps à tous et toutes pour concilier vie familiale et vie professionnelle. Le télétravail ne doit pas être une excuse pour ne pas mettre en œuvre les politiques d'égalité, ainsi que le développement de services publics de garde d'enfants de bonne qualité.

Le télétravail remet également en question le rôle central du lieu de travail dans la constituton et le développement des syndicats. Notre modèle actuel de syndicalisme est né du recrutement des travailleurs sur le lieu de travail et de l'adoption d'une approche collective du travail et de la relation entre les travailleurs et leurs représentants. Le télétravail risque d'accroître l'individualisation du travail et d'isoler les travailleurs à la maison. Les syndicats doivent garantir une présence physique minimale obligatoire des travailleurs sur le lieu de travail afin de maintenir les liens sociaux avec les collègues et les représentants des travailleurs. Les employeurs doivent également veiller à ce que les syndicats aient un accès sécurisé aux outils de communication de l'entreprise afin de maintenir une communication régulière avec les travailleurs.

Les syndicats devraient agir rapidement et s'efforcer de réglementer le télétravail par le biais du dialogue social et de la négociation collective, d'autant plus que les employeurs ont pris conscience des avantages potentiels du télétravail en économisant des coûts liés à l’immobilier et en constatant les gains de productivité de salariés travaillant plus longtemps. Le télétravail pourrait également devenir un prétexte à une externalisation accrue et une délocalisation numérique du travail.

Le travail à distance ne doit pas être un prétexte pour les employeurs de transférer des coûts et d'économiser de l'argent aux dépens des travailleurs. Ceux-ic ne doivent pas supporter la charge des coûts supplémentaires liés au travail à distance. Les économies et les gains associés à cette forme croissante d'organisation du travail doivent être partagés avec les travailleurs.

La négociation collective et le dialogue social permettent aux travailleurs de bénéficier d'une plus grande flexibilité dans l'organisation de leur travail tout en assurant un niveau optimal de protection et le respect de leurs droits.

Atle Høie, Secrétaire général adjoint d'IndustriALL, estime que le télétravail peut être une opportunité, mais aussi un fléau.

“Passer en famille le temps que prendrait vos déplacements quotidiens est une perspective séduisante et la flexibilité qui en découle peut être exaltante. Mais les côtés positifs peuvent s'estomper si vous n'êtes pas suffisamment équipé sur le plan ergonomique, lorsque vous vous rendez compte que vous supportez l'essentiel des coûts d’agencement et que vos collègues commencent à vous manquer. Pour ces raisons, il est important de réglementer le télétravail par le biais de conventions collectives et de la législation.”

IndustriALL Global Union a élaboré des principes fondamentaux, ainsi que des directives pratiques sur le télétravail concernant le dialogue social et la négociation collective. Ces documents visent à donner aux syndicats les moyens de s'assurer que le télétravail profite aux travailleurs. Ils établissent également la base qui garantira que le travail à distance devienne un droit pour les travailleurs et non un privilège qui peut être accordé arbitrairement à certaines catégories de travailleurs, en échange de quoi le travailleur renoncerait à certains de ces droits.