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DOSSIER SPECIAL: La négociation sectorielle, outil essentiel du combat pour des salaires vitaux

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18 mai, 2015La dérégulation et les attaques contre la négociation collective ont contribué à une hausse massive des inégalités de par le monde. Maîtriser un pouvoir syndical qui permette d’atteindre des conventions au niveau sectoriel est crucial dans le combat pour des salaires vitaux et contre le travail précaire.

DOSSIER SPECIAL

Text: Jenny Holdcroft

De nos jours, 1% de la population la plus riche détient 50% des avoirs de toute la planète. De manière stupéfiante, les 85 personnes les plus riches au monde possèdent autant que les 50% de la population la plus pauvre.

Depuis 1990, la part du PIB (produit intérieur brut) émanant des salaires a régulièrement baissé dans le monde. Les travailleurs sont dans la dèche alors que les entreprises à dimension mondiale recherchent des profits de plus en plus importants. Apple a récemment annoncé le plus gros résultat trimestriel de tous les temps d’une société cotée en bourse : 18 milliards de dollars. Elle détient des réserves pour 142 milliards de dollars. Entretemps, les travailleurs qui fabriquent un iPhone qui se vendra des centaines de dollars n’en est payé que sept.

Le fossé de plus en plus grand entre l’augmentation de la productivité et la croissance des salaires est mis en évidence dans le Rapport mondial sur les salaires 2014/15 de l’OIT et est directement à mettre en lien avec le déclin de la négociation collective. Partout dans le monde, les travailleurs sont privés de l’accès au mécanisme qui a été expressément prévu pour promouvoir la stabilité sociale en permettant aux syndicats de négocier une redistribution plus équitable de la richesse produite par leurs membres.

L’Organisation internationale du Travail (OIT) a constaté que les pays comptant une plus grande proportion de travailleurs couverts par des conventions collectives étaient moins soumis à l’inégalité des bas salaires. Mais ces impacts dépendent du niveau de centralisation du système de négociation collective. En vertu de systèmes décentralisés, comme aux États-Unis par exemple, la portée des conventions collective est plus faible et le différentiel des salaires est plus grand. L’inverse est vrai dans des systèmes où davantage de conventions sectorielles couvrent davantage de travailleurs.

La négociation sectorielle en péril

Le fondamentalisme de marché, cette idéologie destructrice qui domine toujours les politiques menées en dépit de son rôle dans la crise économique mondiale, reste le moteur principal de la dérégulation des marchés du travail et de la décentralisation de la négociation collective. Ces politiques ont directement mené à la diminution de l’emprise de la négociation collective et l’augmentation corollaire des disparités de revenu.

Un rapport de 2013 de la Commission européenne a conclu que la négociation avec de multiples employeurs donnait les meilleures garanties d’une large couverture. Il a aussi trouvé des preuves évidentes d’une tendance à la décentralisation de la négociation collective, dès le début des années 1980 et avec une accélération durant la crise économique.

Le conseil donné par le Fond Monétaire International (FMI) à la Grèce, au Portugal et à l’Espagne pendant la crise a été de permettre aux employeurs de se retirer des conventions sectorielles et de décentraliser la négociation collective au niveau de l’entreprise. Il a renforcé cette position en faisant de la déréglementation du marché du travail une condition de ses prêts accordés au Portugal et à d’autres pays européens en difficulté économique. En mai 2014, un rapport de la Fondation européenne pour l’amélioration des conditions de vie et de travail (Eurofound) a estimé que, dans les pays les plus touchés par la crise (Grèce, Portugal, Irlande et Espagne), la décentralisation des négociations collectives s’était accélérée.

Des déclins massifs de la portée de la négociation collective ont été constatés au Royaume-Uni, en Australie et en Nouvelle-Zélande où des gouvernements de droite ont promulgué des législations destinées à réduire le pouvoir des syndicats en démantelant la négociation sectorielle.

Après la mise en place de la Loi sur le contrat de travail en Nouvelle-Zélande en 1991, le total des conventions pluri-employeurs est tombé de 77 à 20%. En 2000, la négociation pluri-employeurs s’était totalement effondrée. La portée des conventions a chuté de 61% en 1990 à 18% en 2010. Partout où la négociation sectorielle est remplacée par une négociation entreprise par entreprise, le taux de couverture pique du nez, car les employeurs saisissent l’opportunité d’éviter complètement les syndicats et la négociation.

Protéger davantage de travailleurs

Négocier et parvenir à un accord avec un employeur isolé continue à constituer une part importante du travail syndical. Il permet de partager les gains de productivité et d’efficacité réalisés par les travailleurs et permet de réguler tout un éventail de conditions d’emploi qui sont spécifiques à l’entreprise. Mais si tout cela n’est pas construit au départ d’un socle sectoriel, des employeurs pris isolément continueront à éviter les syndicats et la négociation pour saper les salaires et les conditions d’emploi.

Les conventions d’entreprise tendent à ne concerner qu’un faible pourcentage de travailleurs non-syndiqués (7% en moyenne). Sous le régime de conventions sectorielles, ce chiffre passe à plus de 40%, offrant une protection bien nécessaire aux travailleurs qui n’ont pas la possibilité de s’affilier à un syndicat.

Cependant, selon l’OIT, les pays ayant des systèmes et des mécanismes de négociation pluri-employeurs qui permettent aux conventions d’être étendues à la couverture de travailleurs et employeurs supplémentaires ont de meilleurs taux de couverture en matière de négociations collectives.

Dans des pays tels que l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la France, la Finlande, l’Italie et le Portugal, la négociation pluri-employeurs et l’extension des conventions collectives fait que plus de travailleurs non-syndiqués que de syndiqués sont couverts, assurant ainsi que les travailleurs les plus vulnérables puissent bénéficier de hausses salariales que leur seule force ne leur permettrait pas de négocier au sein de leurs entreprises.

Salaires vitaux dans les chaînes d’approvisionnement

Avec la mondialisation des chaînes d’approvisionnement, la négociation sectorielle est plus importante que jamais.

Dans nombre de pays producteurs de vêtements, les structures de négociation collective sont faibles ou absentes et le taux de syndicalisation est bas. Plus de 90% des travailleurs dans l’industrie mondiale de la confection n’ont pas la possibilité de négocier leur salaire et conditions d’emploi. Ils ne peuvent pas revendiquer une portion équitable de la valeur qu’ils génèrent.

Typiquement, un jeans fabriqué au Bangladesh se vend au détail entre US$30 et US$50, ou plus pour une marque de prestige. Mais le travailleur qui le fabrique, ne reçoit que 10 cents. Et  ceci ne peut pas s’expliquer par la différence du coût de la vie. Le salaire minimum au Bangladesh est actuellement de US$68 par mois. Les syndicats affirment qu’il faut le faire passer à au moins US$120 pour que les travailleurs soient en mesure de bien s’en sortir, eux et leurs familles.

L’absence presque totale de négociations salariales sectorielles dans l’industrie de la confection laisse les travailleurs à la merci d’un système de salaire minimum inefficace pour toute hausse salariale. Bien que le salaire minimum, pour le moins, établit un seuil commun, les salaires qui en résultent sont bien en dessous d’un salaire vital dans la plupart des grands pays producteurs de vêtements comme le Cambodge et le Bangladesh.

Là où il y a effectivement négociation au sein de l’industrie de la confection, elle est principalement tenue au niveau des entreprises individuelles. Ceci met un poids considérable sur les épaules de syndicats qui manquent de force et de moyens pour mener à bien des négociations usine par usine. Rien qu’au Bangladesh, il y a plus de 4.500 usines qui produisent pour l’exportation.

En particulier au sein de chaînes d’approvisionnement comme celles de la confection et de l’électronique, la négociation au niveau des entreprises individuelles ne suffira jamais à tirer vers le haut les salaires et les conditions de travail alors que les exigences des multinationales pour des coûts du travail toujours plus faibles les entraînent dans un nivellement par le bas. Il y a des limites à ce qu’une usine ou entreprise particulière peut faire pour se maintenir devant la concurrence et les multinationales sans scrupules se dirigeront tout simplement vers d’autres fournisseurs aux normes et coûts du travail plus bas. De la même manière, les efforts de certaines multinationales pour améliorer les normes, en particulier lorsqu’il n’est pas question de réformes de pratiques d’achat, seront confrontés à des oppositions au sein des usines qui les fournissent et qui doivent subir la concurrence des autres sur les coûts du travail.

Les conventions sectorielles, en particulier celles disposant de clauses d’extension, font qu’il est difficile pour les employeurs d’échapper à leurs obligations. Elles éliment les coûts du travail comme facteur de concurrence en créant des règles du jeu équitables qui permettent d’améliorer les conditions de travail pour tous les travailleurs d’un secteur, quel que soit leur employeur.

Le Syndicat sud-africain du textile et de la confection, le SACTWU, représente plus de 80% des travailleurs et travailleuses du secteur dans le pays. Le combat pour le salaire vital est au cœur du travail du SACTWU et le syndicat privilégie la négociation centralisée en tant que mécanisme permettant d’obtenir les meilleurs salaires pour ses membres. Le SACTWU négocie au sein de trois conseils nationaux pour les secteurs de l’habillement, du textile et du cuir qui concernent plus 100 travailleurs. En 2014, les hausses salariales du secteur se situaient au-dessus de l’inflation. Mais ce système qui fonctionne bien est menacé. La Fondation pour le libre-échange, issue du monde patronal, remet en cause devant les tribunaux la constitutionnalité de l’extension des conventions aux tierces parties. Si cette procédure aboutit, les travailleurs et travailleuses dont les employeurs ne sont pas membres du conseil se retrouveront seuls face à leur triste sort.

Protection des travailleurs précaires

De plus en plus, les conditions d’emploi d’un travailleur ne sont plus sous le contrôle d’un seul employeur. Par le biais de sous-traitance et d’intérim, les employeurs externalisent leur responsabilité, en créant des relations d’emploi multiples et en fractionnant les négociations. Les acheteurs multinationaux, tout en haut de la chaîne d’approvisionnement, n’emploient pas directement ceux qui, dans les usines, produisent leurs biens, mais leurs décisions d’achat ont une forte influence sur les salaires et temps de travail.

Pour les travailleurs précaires, l’identification même de leur employeur légal peut être difficile, alors que négocier est probablement impossible. En effet, des relations de travail triangulaires sont utilisées par les employeurs précisément pour éviter les syndicats et la négociation collective.

Ceci rend la négociation sectorielle particulièrement importante pour les travailleurs précaires. En négociant des conventions qui concernent tous les employeurs d’un secteur, y compris les agences d’intérim et les sous-traitants, ou en en étendant l’application à tous les travailleurs qu’ils emploient, les syndicats s’assurent que les travailleurs précaires sont protégés qu’ils aient pu ou non s’affilier à un syndicat.

Négocier au niveau sectoriel peut jouer un grand rôle dans la régulation du recours au travail précaire ainsi qu’au niveau des conditions de travail qui le concerne.

  • Au Danemark, dans les secteurs de la production industrielle et de la construction, les syndicats ont négocié des conventions sectorielles qui comportent des protocoles sur le travail intérimaire. Ceux-ci spécifient que les travailleurs intérimaires doivent être employés conformément à la convention du secteur pour tout ce qui concerne le salaire, le temps de travail et autres conditions d’emploi importantes. De même, une convention sectorielle entre les syndicats norvégiens et les fédérations d’employeurs soumet les agences d’intérim aux conditions de la convention, ce qui signifie que les intérimaires bénéficient du même salaire et des mêmes conditions de travail que les salariés directs.
  • En Argentine, la Fédération du Pétrole et du Gaz FASPyGP est parvenue à négocier une clause, notamment dans la convention qui concerne le gaz, qui stipule que toutes ses dispositions s’appliquent également aux firmes sous-traitantes.
  •  En Afrique du Sud, la NUMSA a conclu dans différents secteurs (automobile, pneu, métal) des conventions qui visent à éliminer les pourvoyeurs d’emploi et à améliorer les conditions de travail de ceux qui ont un emploi précaire.

Qu’est-ce qui doit changer ?

Il existe des preuves incontestables que la négociation sectorielle joue un rôle vital dans la réduction des inégalités et le relèvement des seuils salariaux. Les gouvernements doivent encourager et faciliter les négociations sectorielles de sorte à étendre la portée de la négociation collective et la protection des travailleurs qui en sont exclus tout en en ayant le plus besoin. Ceci va nécessiter une volonté politique significative, en particulier dans les pays qui fournissent aux chaînes mondiales d’approvisionnement de la main d’œuvre bon marché. Ceci impliquera aussi la mise en place ou l’amélioration des structures de relations sociales, y compris le développement d’associations représentatives des employeurs là où elles sont absentes. L’OIT a un rôle clé à jouer dans la promotion des bénéfices à retirer de la négociation sectorielle pour les gouvernements, les employeurs et les travailleurs, ainsi que dans la fourniture d’une aide aux gouvernements dans le cadre des nécessaires réformes législatives et administratives.

IndustriALL va continuer à revendiquer un retour à la négociation sectorielle comme moyen premier dans la fixation des salaires. Ce n’est que par la négociation sectorielle que nous pourrons établir des règles du jeu équitables et nous assurer que tous les travailleurs, y compris ceux occupant un emploi précaire, aient la garantir d’obtenir une part équitable dans les richesses qu’ils produisent.

Bon pour les employeurs

La négociation sectorielle supprime la concurrence sur les salaires et établi des règles du jeu équitables entre employeurs. L’incitant est dès lors de lutter sur base de l’efficacité, des compétences et de l’amélioration des performances plutôt qu’en sapant les salaires et les conditions de travail. Les entreprises ont un intérêt commun à s’assurer qu’elles ne sont pas concurrencées abusivement par des employeurs peu scrupuleux qui payent des salaires inférieurs au taux qui prévalent. C’est particulièrement vrai dans les industries à haute intensité de main d’œuvre comme la confection. La négociation sectorielle évite les conflits dans les ateliers et est économe en moyen pour les employeurs aussi bien que pour les syndicats. Les conventions sectorielles donnent au monde des affaires la stabilité qu’il recherche en matière d’investissements et de croissance.