2 mai, 2024Que pouvons-nous apprendre de l'examen de la manière dont les syndicats du Danemark, de Suède, de Norvège et de Finlande répondent aux besoins des travailleurs cols-blancs et des ingénieurs ? Des discussions allant de l'éducation aux STEM (sciences, technologies, ingénierie et mathématiques) à la mise en application des réglementations de l'IA, les syndicats s'engagent activement pour définir ce que sera demain le travail dans la région.
Lors de récentes réunions avec des syndicats de travailleurs cols-blancs et d'ingénieurs de ces quatre pays, un thème commun a émergé : la nécessité de recruter davantage, notamment chez les jeunes, et de s'adapter à un cadre de travail en évolution et aux avancées technologiques tout en préconisant des pratiques équitables, durables et inclusives.
L'Association des ingénieurs nordiques (ANE) et ses affiliés sont à l'origine d'initiatives promouvant une utilisation des technologies équitable, durable et inclusive. L'utilisation responsable des technologies, plus particulièrement en rapport avec l'IA, l'éthique des données et la cybersécurité, sont des thèmes de préoccupation majeurs pour les organisations représentant les ingénieurs qui développent les nouvelles technologies. Les organisations syndicales préconisent activement des réglementations telles que l'AI Act et préparent leurs organisations membres à s'y conformer. Des syndicats tels que IDA forment leurs représentants et leurs adhérents pour répondre aux défis que pose l'IA en matière de monitoring et de surveillance. Ils réclament une représentation dans les instances dirigeantes pour que les intérêts des travailleurs soient dûment représentés dans les discussions sur les politiques.
L'IA générative aura un impact considérable sur les travailleurs cols-blancs et les ingénieurs. Pourtant, les syndicats de la région savent parfaitement que, grâce à leur engagement auprès des employeurs et à la protection de la négociation collective, l'évolution n'aura pas d'incidence disruptive sur le niveau d'emploi de leurs membres. Des études montrent que la plupart des emplois exposés à l'IA vont croître plutôt qu'être remplacés.
Dans ce contexte, il est essentiel de développer les compétences en STEM. Un des grands centres d'intérêt des syndicats nordiques est la promotion de l'éducation aux STEM, la reconversion des travailleurs et le développement des compétences futures. On assiste à un effort concerté pour faire que la main-d’œuvre soit dotée des compétences en STEM nécessaires pour l'avenir. À ce jour, la Finlande est le seul pays de l'Union européenne à avoir adopté une stratégie des STEM, et pourtant, le gouvernement vient de supprimer une aide financière aux travailleurs suivant des programmes de reconversion et de perfectionnement.
Grâce aux efforts des syndicats, le gouvernement suédois a adopté une grande réforme de la législation du travail qui instaure un nouveau régime d'aides pour les travailleurs voulant se reconvertir et renforcer leurs compétences.
Le syndicat norvégien NITO a institué des ateliers de formation spécifique et des programmes de reconversion pour aider ses adhérents à s'adapter aux changements de la demande dans l'industrie. En Norvège toujours, des efforts sont entrepris pour renforcer les compétences au niveau du secteur avec les programmes de développement de compétences de l'industrie.
Les syndicats de cols-blancs et d'ingénieurs font pression en faveur d'une transition juste et préconisent une modélisation précise de l'incidence de la transition verte sur l'emploi dans les secteurs de l'énergie notamment, et une étude prévisionnelle sur les compétences. ANE et Engineers Finland étudient l'impact de la transition sur les compétences des ingénieurs et leur travail.
Ces efforts comptent beaucoup parce que les pays nordiques sont confrontés à une pénurie de compétences en STEM. Rien qu'en Norvège, il manque 6.000 ingénieurs dans les secteurs des batteries, de l'hydrogène et des vents océaniques. ANE plaide pour l'élaboration d'une politique européenne pour les compétences en STEM.
Une des questions fréquemment posées est de savoir comment les syndicats nordiques font pour conserver des taux de syndicalisation élevés. Une de leurs stratégies consiste à susciter chez les membres un sentiment d'appartenance à une communauté, principalement par des événements à caractère social et portant sur des intérêts communs. Les stratégies utilisées pour augmenter les effectifs varient d'un syndicat à l'autre et visent surtout à recruter dans les universités, par des mesures d'incitation telles que la gratuité de l'adhésion et des petits plus tels que l'assurance -logement, et l'utilisation de plateformes de réseaux sociaux ciblant des audiences particulières.
Des recruteurs étudiants employés par les organisations syndicales sont présents lors d'activités sociales, ils organisent des activités spécifiques et de l'accompagnement des membres. Dans le syndicat suédois des ingénieurs, des représentants des étudiants sont présents lors des congrès et siègent au conseil. L'adhésion des étudiants est souvent gratuite, dans le but de créer tôt un lien avec le syndicat et avec la vie professionnelle après l'obtention du diplôme. Lorsqu'ils ont trouvé un emploi, les syndicats s'efforcent de retenir ces membres lorsqu'ils commencent à payer des cotisations. En Finlande, PRO pratique des tarifs réduits pour les jeunes membres travailleurs.
Se syndiquer n'est plus, même chez les travailleurs cols-blancs, une démarche automatique, ce qui contraint les syndicats à s'adapter et mettre en place des stratégies de syndicalisation plus systématiques. Au début des années 2010, le syndicat finlandais HK Privat a adopté une stratégie basée sur le modèle nord-américain, avec un recensement systématique du lieu de travail et une identification des personnalités influentes. 12 ans plus tôt, le syndicat perdait des membres, mais il a réussi à inverser la dynamique par la mise en place d'une équipe de recrutement nationale et locale et un renforcement de l'éducation des délégués.
Après une campagne de recrutement particulièrement réussie, le syndicat suédois Unionen met l'accent sur le développement et l'institutionnalisation de sa présence dans les lieux de travail. Son but est de faire passer le nombre des représentants des travailleurs de 29.000 à 50.000 en quelques années. La communication est au cœur des campagnes d'organisation afin d'attirer, de retenir et d'éduquer les membres. Très présents sur les réseaux sociaux, les syndicats d'ingénieurs communiquent sur des thèmes que leurs adhérents ont à cœur : les salaires, la sécurité d'emploi, la protection sociale, la diversité et l'inclusion.
Pour Corinne Schewin, du syndicat français CFE-CGC Métallurgie et coprésidente du secteur :
"La manière dont les syndicats travaillent avec leurs membres jeunes et étudiants a été révélatrice et inspirante; tout, de la façon d'aborder les étudiants aux activités organisées, est impressionnant.
"L'IA est présente partout pour les travailleurs cols-blancs et la manière dont nous traitons la question est un élément essentiel de notre action. Dans ces conditions, le fait que les syndicats suédois s'y attaquent est motivant."
Les syndicats des pays nordiques donnent la priorité aux matières en rapport avec l'équilibre entre travail et vie privée et avec la santé mentale. Unionen réalise régulièrement des études sur l'équilibre entre travail et vie privée et sur les aspects psycho-sociaux du cadre de travail dont les conclusions alimentent les campagnes militantes et les négociations collectives. L'augmentation du stress chez les jeunes et les travailleuses est une des problématiques qui ressortent de ces études. En Finlande, un des groupes les plus exposés au burnout professionnel est celui des femmes de moins de 35 ans. PRO est très actif sur la question de la santé mentale. Le syndicat a lancé une série de podcasts de déconstruction des mythes sur le burnout. En outre, avec le soutien du Centre finlandais pour la sécurité au travail, le syndicat dispense des formations spécifiques sur le bien-être en matière de santé mentale aux travailleurs et aux délégués de sécurité et d'hygiène. Par ces formations, les délégués sont mieux équipés pour traiter la question du bien-être au travail.
Dans tous les pays, la pandémie a souligné l'importance des modalités de travail flexible, une grande partie des personnes interrogées ayant marqué leur préférence pour le télétravail.
La collaboration entre organisations syndicales est essentielle pour donner de l'écho à leurs prises de position et pour élargir leurs audiences. Qu'il s'agisse de campagnes de recrutement, de s'attaquer à des défis spécifiques pour l'industrie, comme celui de la chaîne d'approvisionnement des batteries, ou de mettre l'accent sur la diversité et l'inclusion, les syndicats des pays nordiques sont unis dans leur engagement pour l'amélioration des conditions de travail et la promotion des droits des travailleurs.
Patrick Tay Teck, des syndicats singapouriens NTUC et UWEEI (Syndicat uni des travailleurs des industries de l'électricité et de l'électronique) et coprésident du secteur, est impressionné par le niveau de connaissance, dans les pays scandinaves, du fonctionnement des syndicats, ainsi que par le fort degré de camaraderie et le sentiment d'appartenance à une communauté, ce qui ne se retrouve pas dans beaucoup de parties du monde.
"Ce que j'en retiendrai est la nécessité d'une collaboration étroite avec les écoles et les universités pour recruter le plus tôt possible. Être là au passage de l'école à la vie active est important pour les syndicats. Et le fait d'offrir une palette de services, comme l'orientation professionnelle, le conseil juridique, les réseaux dans l'industrie, les assurances, etc., est une force d'attraction qui permet de conserver nos travailleurs cols-blancs en tant qu'adhérents."
Alors que les pays nordiques naviguent dans les complexités d'une économie mondiale en totale mutation, les syndicats jouent un rôle crucial en faisant que les travailleurs soient entendus et que leurs droits soient protégés. Par leur engagement stratégique, leur action militante et leur collaboration, les syndicats nordiques sont prêts à relever les défis et saisir les opportunités de demain, en quête d'un environnement professionnel plus équitable et durable pour tous.