15 juin, 2017Des syndicalistes en provenance d’Algérie se sont rendus à Genève, en Suisse, à l’occasion de la Conférence internationale du Travail (CIT) pour en appeler à l’OIT afin de contribuer à arrêter la répression croissante à l’égard des syndicats indépendants du pays.
Alors que la situation économique en Algérie se dégrade en raison de la chute du cours mondial du pétrole, le gouvernement a recours à des tactiques de plus en plus agressives pour se maintenir au pouvoir, selon Rachid Malaoui, Président de la CGATA (Confédération générale autonome des travailleurs en Algérie). “Nous sommes dans une situation de crise qui pourrait exploser à tout moment,” a indiqué Malaoui lors d’une conférence de presse à Genève ce mardi 13 juin.
Au cours de la CIT de cette année, l’Algérie a été soumise à l’examen de la Commission de l’application des normes (CAN) pour avoir enfreint la Convention 87 de l’OIT sur la liberté syndicale.
Au cours de ce qui a été décrit comme une “année sombre” pour les syndicats, les autorités algériennes ont déclaré des grèves illégales, empêché des sections syndicales de se réunir, mis à pied des leaders syndicaux et harcelé physiquement des adhérents syndicaux.
L’affilié d’IndustriALL, le SNATEGS, représente 35.000 travailleurs et travailleuses de Sonelgaz, la compagnie de gaz et d’électricité qui appartient à l’État. Sonelgaz emploie 86.000 personnes et est la deuxième plus grande entreprise du pays. Le Président du SNATEGS, Raouf Mellal, conteste une sentence de six mois de prison reçue pour avoir été le lanceur d’alerte de la corruption chez Sonelgaz qui a permis de gonfler de manière illicite les factures d’électricité de plus de huit millions de particuliers en Algérie pendant plus de dix ans.
Mellal n’a plus qu’une seule possibilité d’appel de sa sentence d’emprisonnement et est confronté à 26 autres chefs d’accusation face aux tribunaux. Il a été forcé de changer d’adresse en raison du harcèlement de la part des autorités et ses parents ont dû faire de même.
“En tant que président de notre syndicat, je souffre. Je suis soumis à une répression totale. Ma carrière est détruite. J’ai perdu mon emploi voici trois ans,” a dit Mellal lors de la conférence de presse à Genève. “Maintenant, le gouvernement m’a même retiré le droit de travailler en tant qu’avocat. Pourquoi ? Parce que je suis le président d’un syndicat indépendant.”
Depuis mars 2017, le SNATEGS a mené une série de grèves bien suivies qui revendiquaient de meilleurs salaires et des améliorations en termes de santé et sécurité, sachant que les décès au sein de l’entreprise sont fréquents. À leur suite, 92 membres du SNATEGS ont été licenciés, 12 sont sous le coup d’accusations criminelles et plus de 800 travailleurs et travailleuses sont accusés au civil pour faits de grève. De plus, le gouvernement a annulé l’enregistrement du SNATEGS le 16 mai, en violation non seulement de la loi algérienne, mais aussi des Conventions de l’OIT.
“Maintenant, c’est une question de dignité. Nous ne nous sentons plus humains. Nous ne sommes plus des travailleurs et des travailleuses. Si vous voulez conserver votre dignité, vous devez être prêts à en payer le prix. Nous sommes déterminés à faire tout ce qu’il faudra pour récupérer notre dignité,” a indiqué Mellal, qui, à 37 ans, est l’un des plus jeunes leaders syndicaux du monde arabe.
“Sonelgaz est l’unique fournisseur de gaz et d’électricité en Algérie. C’est un secteur vital. Les travailleurs de Sonelgaz ont beaucoup de pouvoir, s’ils le veulent. En dépit de cela, le salaire de base d’un travailleur est de 200 euros par mois. Par contraste, le salaire de base au Maroc est de 600 euros, alors que l’Algérie exporte de l’électricité vers le Maroc et qu’elle est le principal fournisseur d’énergie en Afrique du Nord.
“De plus, il n’existe même pas de seuils minimums de sûreté sur le lieu de travail. Nous évoluons sans protection et nous risquons la mort. Dans la journée d’avant-hier encore, un travailleur est décédé sur une ligne à haute tension. Sonelgaz a déclaré que c’était de la faute du travailleur lui-même, mais ce n’est pas vrai. Sonelgaz ne met pas en place les mesures de sûreté voulues. L’entreprise est responsable de la mort de ses travailleurs. C’est pourquoi ceux-ci sont déterminés, en dépit de la répression, en dépit des poursuites judiciaires, en dépit des licenciements, à tenir un grand rassemblement en juillet que nous appelons la marche de la honte.”
IndustriALL s’est positionnée contre les maltraitances à l’égard du SNATEGS et de ses membres lorsque l’Algérie a été le sujet de débat de la CIT, ce 12 juin. S’exprimant par la suite, le Secrétaire général adjoint d’IndustriALL, Kemal Özkan, a déclaré :
“IndustriALL Global Union va se tenir aux côtés de ses camarades du SNATEGS jusqu’à ce que la justice triomphe. Leur combat est le nôtre. Nous exhortons les autorités en Algérie à immédiatement abandonner les charges contre Raouf Mellal, ainsi que contre les centaines d’adhérents syndicaux dont le seul crime a été d’exercer leur droit légitime à faire grève. Nous exigeons également que le gouvernement rétablisse l’enregistrement du SNATEGS et s’assure de la réintégration des travailleurs et travailleuses mis à pied.”
Dans son projet de conclusions publié le 15 juin, la Commission de l’application des normes a prié le Gouvernement de l’Algérie de prendre, sans délais, les mesures suivantes :
- assurer que l’enregistrement des syndicats, en droit et dans la pratique, soit conforme à la convention n°87 ;
- traiter les demandes d’enregistrement de syndicats en suspens qui répondent aux conditions fixées par la loi et informer la commission d’experts des résultats à cet égard ;
- assurer que le nouveau projet de code du travail soit conforme à la convention n°87 ;
- modifier l’article 4 de la loi n°90-14 afin de lever tout obstacle à la constitution de fédérations et de confédérations de leur choix par les organisations de travailleurs, quel que soit le secteur auquel elles appartiennent ;
- modifier l’article 6 de la loi n°90-14 afin que soit reconnu à tous les travailleurs, sans distinction de nationalité, le droit de constituer une organisation syndicale ;
- assurer que la liberté d’expression puisse être exercée dans un climat exempt d’intimidation et sans violence contre les travailleurs, les syndicats ou les employeurs ;
- réintégrer les agents de la fonction publique licenciés pour des motifs de discrimination antisyndicale.
La CAN a ajouté que le gouvernement devrait accepter une mission de contacts directs avant la prochaine Conférence internationale du Travail et faire rapport à la commission sur les progrès accomplis avant sa session de novembre 2017.