20 novembre, 2020Dans les usines où sont produits les textiles, les vêtements, les chaussures, le cuir et les accessoires de mode, des millions de personnes travaillent dans le cadre d’emplois précaires et mal payés, dans des conditions dangereuses. Les travailleurs et travailleuses sont exposés aux produits chimiques utilisés pour le blanchiment et la teinture. Des catastrophes comme l’effondrement du Rana Plaza ou l’incendie d’Ali Enterprises tuent des milliers de personnes. Les campagnes des syndicats sur les droits des travailleurs ont mis en lumière des pratiques antisyndicales, des emprisonnements, des agressions et parfois des meurtres.
DOSSIER SPÉCIAL Global Worker No. 2 novembre 2020 | |
Texte: Walton Pantland Changer l’équilibre des forces dans l’industrie du textile et de la confection |
Ce secteur est devenu si énorme et complexe qu’aucun acteur isolé, enseigne, gouvernement, usine ou syndicat, n’est en mesure de faire une différence marquante. Les consommateurs et les militants font porter la faute aux enseignes, les marques accusent les fournisseurs et les propriétaires d’usines accusent les syndicats de sabotage. Il existe des intérêts concurrents et cette industrie ne peut pas évoluer sans intégrer ces intérêts et l’équilibre des forces entre eux.
Les Fédérations syndicales internationales peuvent influencer l’équilibre des forces et, ce faisant, faire évoluer le secteur dans une meilleure direction.
L’industrie de la mode est au plan mondiale un mastodonte complexe qui représente environ 1.500 milliards de dollars par an et contribue à hauteur de 10 % aux émissions mondiales de gaz à effet de serre. Elle est trop importante pour sombrer et si complexe qu’il est difficile de l’influencer. La production mondialisée alimente un appétit insatiable de consommation, suscité par une machine de marketing sophistiquée qui utilise les médias sociaux pour influencer les besoins et des désirs qui poussent les gens à acheter, pour ensuite jeter, d’énormes quantités de vêtements.
Cela conduit à des entrepôts remplis de stocks excédentaires invendables et à des enseignes de luxe qui brûlent des millions de dollars de vêtements. Cette industrie est partie en vrille et même les enseignes qui veulent faire les choses différemment ne peuvent pas évoluer sans perdre des plumes.
Une mode éphémère, où les enseignes produisent rapidement, à grande échelle et à faible coût les dernières tendances pour les consommateurs, repose sur les faibles coûts de la main-d’œuvre dans les pays de production.
Il s’agissait déjà de problèmes graves avant le chambardement, l’annulation des commandes et la perte de production due à la crise de Covid.
Les Fédérations syndicales internationales ne peuvent pas s’attaquer à la surproduction, c’est un problème que le secteur lui-même doit régler. Nos membres n’ont pas suffisamment de contrôle sur le processus de production pour pouvoir mettre fin à la pollution ou réduire les émissions. Mais nous pouvons influencer l’équilibre des forces.
Le secteur présente de nombreux aspects positifs. En s’attaquant à ce qui ne fonctionne pas, nous pouvons contribuer à créer un secteur qui offre des emplois de qualité et contribue à un développement économique durable.
Du côté de l’offre, l’industrie de la mode fournit des emplois à des millions de travailleurs et travailleuses dans des pays comme le Bangladesh, l’Inde, le Pakistan et la Turquie, mais aussi au Portugal, en Éthiopie, en Jordanie, au Lesotho, en Afrique du Sud et bien d’autres encore.
La majorité de la main-d’œuvre de ce secteur est féminine, ce qui donne aux femmes issues de sociétés traditionnelles une autonomie et une indépendance qu’elles n’avaient pas auparavant. Elles sont en mesure de gagner leur propre salaire, de subvenir aux besoins de leur famille et de développer leur carrière.
Cette industrie est évolutive, ce qui signifie qu’un pays, l’Éthiopie en est un exemple, peut s’y lancer avec une production simple et de valeur relativement faible. À mesure que le secteur mûrit, des machines plus sophistiquées peuvent être achetées, des compétences développées et le pays peut commencer à former des stylistes et à élaborer son propre secteur de la mode, comme c’est le cas en Turquie. Cela conduit à une croissance économique et au développement des compétences de la main-d’œuvre locale à tous niveaux, de la fabrication à la conception, jusqu’au marketing. D’autres pays, dont le Bangladesh, sont sur cette trajectoire.
Du côté de la demande, le secteur de la mode donne à la classe ouvrière la possibilité de se sentir bien, d’acheter de nouveaux vêtements et de s’exprimer de manière créative, tout en fournissant des emplois dans le commerce de détail, la création de mode et le marketing. Il y a une ou deux générations, paraître à son avantage n’était accessible qu’aux riches, car les vêtements étaient chers. Une mode plus accessible contribue à la culture et à la dignité humaine.
Usine de vêtements au Bangladesh
Côté de l’offre
Du côté de l’offre, on retrouve les producteurs des pays qui fabriquent le textile et les vêtements, les travailleurs de la production et leurs syndicats, les employeurs et leurs associations patronales ainsi que les gouvernements nationaux.
La main-d’œuvre et ses syndicats
Les travailleurs et travailleuses qui produisent le tissu, découpent les vêtements et les cousent veulent des emplois durables sur le long terme, qui leur assurent un salaire vital et fiable dans des conditions sûres. Leur besoin est la sécurité de l’emploi et un revenu prévisible. Leur souhait est également de développer leurs compétences et d’avoir la possibilité d’évoluer dans leur carrière.
Dans certains pays, les syndicats ont pu se rassembler et négocier des normes qui s’appliquent à l’ensemble du secteur, c’est-à-dire mener des négociations collectives à l’échelle sectorielle. Mais dans d’autres pays, les syndicats sont faibles et fragmentés et les pratiques antisyndicales font que souvent les travailleurs n’obtiennent pas la représentation qu’ils souhaitent.
Les employeurs et leurs associations
Du côté de l’offre, on trouve également les employeurs, les propriétaires d’usines et les associations patronales. Les employeurs sont en concurrence les uns avec les autres, mais se battent aussi pour leurs intérêts communs par l’intermédiaire de leurs associations. Leur intérêt est de faire le plus de profit possible tout en restant compétitifs. Ils soumissionnent pour des contrats de production de vêtements pour de grandes enseignes et doivent se faire concurrence sur les coûts, la qualité de la production, les délais de livraison, la proximité des marchés et de nombreux autres facteurs. Lorsqu’ils cherchent à optimiser les coûts, les salaires des travailleurs ont tendance à être comprimés.
Les associations patronales représentent le secteur au niveau national. Elles tentent d’harmoniser les conditions pour les employeurs afin de rendre l’industrie nationale compétitive par rapport aux autres pays.
Les gouvernements des pays producteurs
Les gouvernements veulent maintenir et développer une industrie axée sur l’exportation qui génère des quantités fiables de devises et maintient une balance commerciale saine. Cela fournit les capitaux nécessaires à une industrialisation plus poussée, qui se traduira par une augmentation des exportations et du développement économique. Un intérêt secondaire est de fournir des emplois aux citoyens tout en augmentant l’assiette fiscale. Les gouvernements sont en concurrence les uns avec les autres pour attirer les investisseurs. Pour ce faire, ils offrent un produit fiable dans un environnement commercial stable et doté des infrastructures nécessaires. Très souvent, cependant, ils tirent leur avantage concurrentiel du fait qu’ils disposent d’un réservoir de main-d’œuvre bon marché, ce qui peut entraîner un nivellement par le bas.
La liberté syndicale doit être respectée et IndustriALL se bat pour mettre fin aux pratiques antisyndicales dans le secteur. Les gouvernements ferment parfois les yeux lorsque les employeurs refusent d’autoriser les travailleurs à se syndiquer ou tentent de briser les syndicats et, dans certains cas, vont jusqu’à participer au mouvement.
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Du côté de la demande
Du côté de la demande, alimentée par la consommation, il y a les enseignes mondiales, les consommateurs, les gouvernements nationaux, les travailleurs du commerce de détail et leurs syndicats, ainsi que les militants politiques.
Les enseignes de stature mondiale
Les roulements sont très rapides : pour rester compétitives, les enseignes doivent vendre un volume important le plus rapidement possible. Elles doivent concevoir, commander, acheter, commercialiser et vendre de grandes quantités de vêtements et elles doivent le faire mieux que leurs concurrents si elles veulent rester en activité. Il est plus rentable de commander trop et de détruire l’excédent que de se retrouver à court d’un article populaire.
Le renouvellement rapide de la mode est devenu un piège pour le secteur. Les surstocks dévalorisent l’enseigne et le gaspillage n’est dans l’intérêt de personne. De nombreuses enseignes de stature mondiale voudraient changer le système actuel, mais ne le peuvent, car leurs concurrents ne le font pas.
La plus grande partie de la valeur ajoutée aux vêtements provient d’idées culturelles immatérielles et est créée par un marketing à court terme et par un patrimoine constitué au fil du temps. La valeur a peu à voir avec la qualité réelle des vêtements ou le coût de production. Les enseignes doivent préserver leur identité, leur image et leur réputation. Pour certaines enseignes, être perçues comme une “bonne” entreprise est important pour cette identité.
Les consommateurs
Les consommateurs des pays occidentaux, ainsi que la classe moyenne occidentalisée des pays en développement, veulent avoir des vêtements de la meilleure qualité ainsi qu’au prix le plus bas possible. Ils veulent également un approvisionnement continu de vêtements nouveaux, intéressants et bien conçus, dans le cadre d’un cycle de mode continu de réinvention et de renouvellement. Idéalement, ils le veulent en gardant la conscience tranquille, en sachant que personne n’a été lésé ou blessé dans la production de leurs vêtements. Cependant, peu de consommateurs sont prêts à payer beaucoup plus cher et les vêtements produits de manière éthique restent un marché de niche.
Les travailleurs du commerce de détail et leurs syndicats
Les travailleurs du commerce de détail dans le secteur de la mode sont mal payés. Dans de nombreux pays, les syndicats doivent lutter pour recruter et représenter les travailleurs. Leurs syndicats luttent contre les bas salaires, la précarisation et l’absence de sécurité d’emploi causé par des cycles économiques instables. La vente au détail dans le secteur de la mode connaît des consolidations, des expansions et des contractions rapides ainsi que des changements de propriété. Les travailleurs de la vente au détail et leurs syndicats sont des alliés importants pour les travailleurs de la production, mais contrairement à des secteurs comme l’automobile et l’énergie, ils n’ont pas socialement le pouvoir d’influencer le comportement des enseignes. Il y a très peu de comités d’entreprise dans le secteur. Le Conseil syndical mondial d’Inditex est une exception importante et joue un rôle crucial dans la régulation des conditions de travail et d’emploi tout au long de la chaîne d’approvisionnement.
Les militants politiques
Dans les pays occidentaux, des militants politiques ont passé des décennies à souligner auprès des consommateurs l’impact éthique et environnemental de l’industrie de la mode. Cela a eu un profond impact sur les comportements des consommateurs, la plupart des gens préfèrent les vêtements qui ne leur donne pas un sentiment de culpabilité, mais n’a eu qu’un impact superficiel sur la production, car les enseignes trouvent qu’il est plus facile d’aborder la perception qu’on a d’elles en baratinant plutôt qu’en faisant évoluer le secteur.
Les gouvernements et le droit international
Du côté de la demande, les gouvernements répondent à la pression croissante des consommateurs pour une meilleure gouvernance des chaînes d’approvisionnement en adoptant des législations nationales sur l’esclavage et sur la responsabilité de la chaîne d’approvisionnement. Ces législations sont nouvelles et il n’y a encore eu que peu de cas pour les tester et créer une jurisprudence, mais les militants estiment qu’elles seront un outil important.
Il n’existe pas de système juridique international pour régir les chaînes d’approvisionnement, mais dans certains cas, des accords mondiaux contraignants, parmi lesquels on notera l’Accord du Bangladesh, ont permis de réaliser des changements importants. Les négociations en vue d’un traité contraignant des Nations unies sur les entreprises et les droits de l’homme indiquent un pas supplémentaire dans cette direction.
Les Fédérations syndicales internationales
Les Fédérations syndicales internationales sont à cheval à la fois sur l’offre et la demande et sont capables de rassembler les acteurs pour améliorer la situation. Les campagnes de solidarité internationale organisées par les Fédérations syndicales internationales ont joué un rôle crucial pour faire libérer des syndicalistes emprisonnés, en faire réintégrer d’autres, etc.
Les travailleurs et travailleuses de la production sont probablement les acteurs les moins puissants. Cependant, leur pouvoir augmente considérablement à mesure que leur syndicalisation progresse et surtout grâce à leur travail au niveau international par l’intermédiaire de fédérations syndicales internationales comme IndustriALL Global Union.
Les acteurs les plus puissants sont les gouvernements nationaux, dans les pays où la demande est forte, et les enseignes mondiales. Mais ils ne sont pas tout-puissants et les intérêts concurrents des enseignes font qu’aucun acteur n’a le pouvoir de faire évoluer le secteur à lui seul.
Aller au-delà des campagnes précédentes
La nécessité de combler les lacunes du système est évidente. Pour de nombreux militants, la solution consiste à tenir les enseignes responsables et à exiger d’elles un changement. Puisqu’elles passent les commandes et fixent les prix, ne peuvent-elles pas être obligées de faire les choses différemment ?
C’est le modèle de campagne qui a prévalu depuis les premiers jours de la mondialisation de la mode, en commençant par les États-Unis dans les années 1980 avec des campagnes de consommateurs comme No Sweat, contre les “sweatshops”, ces usines pratiquant une exploitation éhontée. Si ces campagnes ont beaucoup fait pour sensibiliser les consommateurs, elles n’ont pas changé le secteur de manière significative.
Ces campagnes nous ont bien servi jusqu’ici, mais nous devons maintenant aller plus loin
Les limites de ce modèle de campagne sont que le fait de se concentrer sur les enseignes peut détourner l’attention de la nécessité d’un changement systémique plus global. En plus du modèle actuel de campagne, nous devons adopter une perspective à long terme et nous concentrer sur le changement systémique.
Certaines enseignes, dont la suédoise H&M et l’espagnole Inditex, reconnaissent la nécessité d’un changement et sont prêtes à travailler avec les syndicats pour y parvenir. Elles n’en font pas assez, mais elles en font plus que leurs concurrentes. Mais plus leur engagement est explicite, plus elles deviennent une cible.
Un exemple récent en est la manifestation dans le cadre d’une campagne de solidarité avec les Ouïghours devant la boutique ZARA d’Oxford Street, à Londres, au sujet d’accusations d’esclavage dans leur chaîne d’approvisionnement de coton. Parce que le problème est systémique et qu’il n’y a pas de moyen concret pour ZARA de le résoudre, des manifestations comme celle-là détournent l’indignation sans aborder les problèmes sous-jacents.
Pourquoi ne doit-on pas attendre des enseignes qu’elles règlent tout
Un petit exercice de réflexion explique pourquoi il n’est pas souhaitable d’attendre des enseignes qu’elles résolvent elles-mêmes tous les problèmes de la chaîne d’approvisionnement.
Les enseignes commandent à des producteurs de pays en développement du prêt-à-porter, souvent emballé et étiqueté à la sortie de l’usine. Ces usines ont à leur tour des fournisseurs, tels que des usines textiles qui transforment le coton en tissu de qualité et de conception variables. Les usines textiles achètent le coton à des courtiers, qui l’achètent à des agriculteurs, pour en faire des lots.
Imaginez une enseigne qui s’engage à garantir qu’il n’y a pas d’esclavage dans la fourniture de son coton, qu’il n’y a pas de pratiques antisyndicales chez ses fournisseurs, que les travailleurs y reçoivent un salaire vital et que l’usine est sûre. Outre le fait que ces engagements sont coûteux et peuvent rendre la marque non compétitive, celle-ci devra employer une armée d’agents de contrôle, une police de la marque, qui se rendra dans les pays producteurs pour inspecter les usines et s’assurer de leur conformité. Trente ans d’audit ont démontré que ce modèle n’est pas viable.
Cette situation est également problématique sur le plan politique, car elle prive les syndicats et les militants des pays fournisseurs de leur capacité d’agir. L’objectif des Fédérations syndicales internationales est de renforcer les syndicats sur le terrain. Les droits des travailleurs et travailleuses au bas de la chaîne d’approvisionnement doivent être respectés. Le rôle des inspections d’usines ne doit pas être laissé à une enseigne occidentale en visite au Bangladesh, celles-ci doivent être effectuées par l’inspection du travail des autorités bangladaises. Les conditions de travail doivent être négociées par les syndicats locaux et non fixées par la police interne d’une enseigne.
Une enseigne peut s’engager à payer un salaire vital. Mais les enseignes ne sont pas responsables du paiement des travailleurs, ce sont les propriétaires d’usine qui le sont. Si une enseigne prévoit le versement d’un salaire vital mais que le propriétaire de l’usine ne le l’applique pas, c’est l’enseigne qui sera accusée d’hypocrisie.
Quel est le meilleur modèle ?
Le meilleur moyen d’équilibrer les intérêts divergents au niveau national dans un secteur donné est la négociation collective tripartite à l’échelle sectorielle : l’association des employeurs, les syndicats et le gouvernement négocient des conventions juridiquement contraignantes qui couvrent l’ensemble du secteur. Plutôt que de négocier usine par usine, tous les syndicats négocient avec les représentants de toutes les usines, comme en Afrique du Sud par exemple.
L’avantage évident pour les travailleurs est l’amélioration des conditions. Mais c’est aussi une bonne chose pour l’industrie : en mettant les salaires et les conditions de travail hors concurrence, on améliore la qualité au sein du secteur en chassant les producteurs marginaux. Elle récompense ceux qui investissent davantage dans la productivité, les machines et la formation et qui s’engagent à long terme.
Ce modèle doit être étendu à tous les pays producteurs et il faut s’attaquer à la concurrence salariale entre les pays.
Les enseignes de stature mondiale doivent prendre l’engagement que si un pays introduit des négociations collectives et que les salaires augmentent en conséquence, elles ne vont pas déplacer la production dans un autre pays pour faire des économies. Si une masse critique d’enseignes accepte de supprimer les salaires en tant que variable en en faisant un coût fixe, alors la base de l’appel d’offres devient la qualité, la vitesse de production, la rotation et la proximité des marchés.
IndustriALL a signé des déclarations communes avec Inditex et l’enseigne allemande Tchibo pour soutenir la reprise économique et sociale de l’industrie mondiale de la confection et dépasser la crise de Covid-19.
C’est le modèle qu’IndustriALL poursuit dans le cadre de l’initiative ACT. Pour que ce modèle fonctionne, il faut une masse critique de soutien. Si la moitié des enseignes soutiennent les négociations collectives dans le cadre de leur approvisionnement à l’échelle du secteur, mais que l’autre moitié ne le fait pas, il est alors difficile d’aller de l’avant. Adidas, par exemple, s’approvisionne en grande partie en vêtements au Cambodge et ne se soucie pas de la façon dont ils y sont produits.
Les usines produisant pour les enseignes qui adhèrent à ACT au Myanmar sont convenues d’une directive sur la liberté syndicale dans le pays, visant à garantir des relations constructives entre employeurs et travailleurs. Des négociations sur des principes directeurs sont en cours au Cambodge et en Turquie.
H&M s’approvisionne également au Cambodge et travaille activement pour s’assurer que les négociations collectives, qu’elle a saluées, y créent des conditions équitables. Le pouvoir respectif d’entreprises adoptant des attitudes opposées s’annule mutuellement et nous ne parvenons pas à obtenir une négociation collective nationale. Dans ce contexte, protester contre H&M ne fait pas avancer la situation. Cela ne fait que détourner l’attention d’Adidas. Au lieu de protester devant une boutique en vue de H&M ou de ZARA, le ciblage doit être plus sophistiqué et plus sélectif. Nous devons identifier les enseignes qui sapent le processus et en tirent profit pour les cibler.
Pour mémoire, cette liste à cibler comprend des enseignes de stature mondiale telles qu’Adidas, Nike, Amazon, Levi’s et Uniqlo.
Une nouvelle façon de faire campagne
IndustriALL dispose d’une stratégie à plusieurs facettes pour changer le secteur, guidée par ses objectifs stratégiques. Nous défendons les droits des travailleurs, en faisant campagne contre les violations quand elles se produisent.
Nous construisons des syndicats forts en encourageant la coopération, en créant des réseaux d’entreprises et en mettant en place des structures nationales pour unifier les syndicats lorsqu’ils sont confrontés aux employeurs. Le modèle le plus avancé est celui de H&M et d’Inditex, avec les Comités de surveillance nationaux et le Conseil syndical mondial d’Inditex.
Nous luttons contre le travail précaire, en faisant campagne pour la sécurité de l’emploi et des salaires dans le secteur. Parce que nous voulons voir se développer une politique industrielle durable dans les pays producteurs, nous sommes de fervents défenseurs du secteur et voulons le voir prospérer et continuer à fournir des emplois de qualité.
Nous affrontons le capital mondial en faisant campagne contre les enseignes qui violent les droits des travailleurs. Mais nous visons également à provoquer un changement systémique : dans un premier temps, nous signons des accords-cadres mondiaux (ACM), qui garantissent le respect de normes dans les chaînes d’approvisionnement et mettent en place des mécanismes de résolution des conflits. Mais nous allons également au-delà des ACM avec les entreprises individuelles en visant des accords mondiaux contraignants qui réglementent le secteur. Nous encourageons des politiques industrielles durables comme l’Appel à l’action de l’OIT, qui revendique des systèmes durables de protection sociale pour une industrie de la confection plus juste et plus résiliente.
L’arsenal législatif en cours d’élaboration au sujet des chaînes d’approvisionnement commence à faire la différence. À mesure que ces lois se généralisent et commencent à créer des précédents, elles vont de plus en plus exiger des entreprises qu’elles assument la responsabilité de leurs chaînes d’approvisionnement. Une façon d’y parvenir est de soutenir les négociations collectives et la syndicalisation à l’échelle du secteur. La responsabilité des agents chargés de contrôler la conformité leur est ainsi retirée et confiée à des processus et structures solides à niveau national.
La manière la plus efficace de traiter les problèmes du secteur est de modifier l’équilibre des pouvoirs entre les acteurs. Comme personne ne renonce volontairement au pouvoir, le meilleur moyen d’y parvenir est de créer des structures qui équilibrent les avantages mutuels avec des obligations.
En raison de sa complexité, aucun acteur ne peut à lui seul changer le système. Le changement systémique nécessite une large coalition : une masse critique d’acteurs qui soutiennent la vision d’un secteur durable. Lorsque les intérêts convergent, nous pouvons faire évoluer les choses dans une certaine direction. Cet équilibre est précaire, et il faut mener des campagnes ciblées pour faire avancer les choses dans la bonne direction.
Nous devons axer nos campagnes sur les enseignes qui sapent ce processus.
En faisant travailler ensemble les bons acteurs, nous pouvons œuvrer pour une industrie du textile et de la confection vigoureuse et saine, offrant à des milliers de travailleurs et travailleuses de bons emplois, produisant des vêtements de haute qualité que les gens aiment acheter et porter.